07

180 32 6
                                    

- Je voudrais bien rencontrer cet enfant que tu vas voir tous les soirs, lance mon père. 

Je lève les yeux de mon portable, perplexe, alors que Rachael, assise à côté de moi, se lève d'un bond du canapé :

- Oui, moi aussi ! Ce soir on y va tous ensembles !

Avant que Olivia n'ajoute quelque chose, je les coupe dans leur élan :

- C'est une mauvaise idée. Lucy commence à peine à s'ouvrir à moi, je préfère être seul avec elle, vous risquez de la brusquer. Sans vouloir vous offenser.

Rachael fait une petite moue déçue :

- C'est pas marrant... Tu pars tous les jours pendant presque une heure. C'est beaucoup. Tu rates toujours le début des films... 

- Tu es jalouse ? taquinais je en venant chatouiller les côtes de ma jeune sœur. 

Mais cette dernière me repousse :

- C'est pas cool Felix. Tu ne viens pas souvent et on peut même pas profiter de toi... 

Je redeviens immédiatement sérieux, touché par ces propos :

- Ce n'est qu'une heure par jour tu sais ? Regarde, aujourd'hui on est allés se promener, Olivia nous a attaqué avec des coussins, maman nous a fait des cookies et on a vu un film tous ensembles après avoir construit une cabane dans le salon comme quand on était enfants. Dis toi que Lucy, je suis presque sûre qu'elle n'a personne avec qui faire ça. 

Ma mère intervient :

- Tu devrais l'inviter à venir manger avec nous un soir. Et ses parents aussi. 

- C'est un peu étonnant qu'un inconnu invite une fillette de six ans un soir chez lui non ? Comment je justifie ça auprès de ses parents ?

Olivia rit : 

- J'avoue, espèce de psychopathe ! 

Je lui lance un coussin et Rachael retient un petit rire. Je viens prendre cette dernière dans mes bras :

- Ça va mieux ?

- Hum oui... Je sais que c'est égoïste, mais tu me manques, et ce temps que tu passes avec Lucy, c'est du temps perdu... 

- Crois moi, ça ne l'est pas. 

- Non je veux dire, du temps perdu pour nous. Tu me manques Felix... 

- Hoooo... 

Je sers ma sœur dans mes bras, ému. Elle me manque aussi, ils me manquent tous. Ce n'est pas toujours évident, mais cette situation me permet de savourer et de comprendre la valeur des moments partagés en famille. 

Ma mère intervient de nouveau :

- Essaie quand même de contacter ses parents. Je suis sûre que cette petite serait contente de goûter mes plats. Et cette situation est louche je trouve... 

Je hoche la tête. Il est clair que la vie de Lucy semble très complexe. Je suis presque sûr qu'essayer de rentrer en contact avec ses parents est peine perdue tant la fillette se braque lorsque je parle d'eux, mais je me dois de tenter. 

Et lorsque je retrouve Lucy, je n'ai que cette idée en tête. 

- Coucou Felix. Je t'ai ramené ton sweat, il a eu le temps de sécher cette nuit, dit-elle en s'avançant encore un peu timidement vers moi. 

- Merci Lucy, dis-je en récupérant mon vêtement. 

- Tu es en avance. 

- Oui, j'avais des choses à penser sur le trajet. 

- Comme quoi ? 

- Tes parents. Tu crois qu'ils voudraient bien venir manger chez moi avec toi ? 

Lucy me regarde avec des yeux comme des soucoupes. 

- Tu es sérieux ? 

- Oui. Ma maman aimerait beaucoup t'inviter. Tu sais, c'est elle qui t'a offert les gants. 

Elle regarde ses mains avec hésitation. Elle met quelques secondes avant de répondre.

- Je crois que j'aimerais bien, mais mes parents seront pas d'accord, avoue t-elle. 

- Tu leur as déjà parlé de moi ? demandais-je. 

Elle secoue négativement la tête avec énergie. 

- Ils ne te demandent pas d'où vient tout ce matériel de bricolage ? 

Elle secoue de nouveau la tête, la bouche complètement fermée. Je l'ai de nouveau brusquée en évoquant un sujet visiblement sensible.

- Viens, on rentre dans la boutique. Mais pense à ma proposition d'accord ? Ma maman a très envie de cuisiner pour toi. Et j'ai parlé de toi à mes sœurs, elles t'adorent déjà. 

- Tu as des sœurs ? s'exclame Lucy. 

- Oui, deux. Une plus jeune et une plus âgée. 

- Tu as de la chance. 

- Tu n'as pas de frère et sœurs ? 

- Non. 

- Tu aimerais ? 

Elle ne répond pas.

- Tu te sens seule ?

- Je suis seule Felix. 

Ces mots si durs sortis de la bouche d'une enfant si jeune me heurtent. Elle semble soudain tellement âgée, tellement mature et consciente du monde cruel qui l'entoure. Comment une fillette de dix ans peut elle avoir un tel recul ? Je me souviens encore de son rire de la veille. Cette enfant est une lumière que je refuse de voir s'éteindre. Elle est encore si pleine d'innocence, je ne veux pas que sa solitude ne la fasse grandir trop vite et perdre ce si beau Soleil qui brûle au fond de son cœur. 

- Non, je suis là. Viens. 

Et je me baisse, attrapant la fillette qui pousse un petit cri surpris dans mes bras. 

- Felix !

- Je te tiens. On va marcher un peu avant d'aller voir Herman. 

Elle cesse alors de bouger et cache sa tête dans mon cou, soudain silencieuse. Je commence à marcher dans les rues voisines, Lucy fermement accrochée à moi. Elle respire calmement, et je crois sentir une larme glisser jusque sur ma peau. Nous avançons silencieusement pendant de longues minutes, puis elle reprend la parole :

- Felix... ?

- Oui ? 

- Tu peux courir ? 

Je souris et obéis tout en resserrant ma prise sur Lucy. Le vent froid me fouette le visage, soulevant mes cheveux blonds, et après quelques secondes de course, j'entends le rire sincère de la fillette dans mes bras, amusée par les secousses. Mon visage s'éclaire à ce son, heureux d'être en capacité de raviver la lumière de cette petite. 

C'est fier et essoufflé que j'arrive devant l'antiquaire, avant de pousser la porte la porte, Lucy toujours dans mes bras, heureuse elle aussi. 

Deux bouts de carton et une ficelle ➳ 𝔉𝔢𝔩𝔦𝔵Où les histoires vivent. Découvrez maintenant