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Lorsque la sonnette retentit à notre entrée, le vieux monsieur lève la tête, un immense sourire aux lèvres, pour nous accueillir gaiement. Déjà habitué à notre présence, il sait que Lucy et moi venons à cette heure précise. Et déjà après quatre jours, une belle routine s'est créée. Nous passons à travers les grandes étagères et les bibelots, et nous arrivons face à la caisse de l'antiquaire. Nous commençons à bien connaître l'endroit et cet immense labyrinthe m'amuse énormément. 

- Bonjour ! Comment allez-vous ? souriais je.

- Bien, répond l'homme après une légère quinte de toux. Et vous ? 

- Vous pouvez me tutoyer. Je m'appelle Felix.

Cela fait plusieurs jours que nous venons désormais, et j'estime que ce vieil homme si gentil mérite de connaître mon nom. J'ai du mal à passer inaperçu à Sydney, mais il est évident qu'il ne me connaît pas du tout. 

- J'accepte de te tutoyer, à condition que tu m'appelles Herman, concède le vendeur avec un air taquin. 

- Entendu, dis-je avec un sourire. 

- Et cette petite ? Je ne connais toujours pas son nom, dit-il d'une voix douce. 

Encore timide, Lucy se cache légèrement derrière moi quand Herman s'avance en dehors du comptoir. Comprenant qu'elle n'a pas encore envie de parler, je répond à sa place :

- Elle s'appelle Lucy. 

- Et quel âge as-tu ? 

Je baisse le regard vers elle, et je vois qu'elle hésite à répondre d'elle même, alors que Herman persévère pour la faire s'exprimer. Lucy n'aime pas parler aux inconnus, et même si elle m'a fait confiance assez vite, je n'oublie pas qu'elle ne m'a pas décroché un mot lors de notre première rencontre. 

- J'ai six ans, dit-elle finalement d'une petit voix. 

- Tu es déjà grande, conclu le vieux monsieur.

Je vois les yeux du vendeur pétiller lorsque Lucy lui rend un sourire timide. Mon cœur bat plus fort face à cette scène d'une infime tendresse, alors que leurs regards s'accrochent quelques instants. J'ignore la condition de Herman, mais il regarde Lucy comme si elle était un véritable trésor. Sans doute est-il seul. Et le sourire d'un enfant vaut tout l'or du monde, surtout celui de Lucy qui est un vrai Soleil. 

- Tu es en quelle classe ? 

Lucy baisse la tête et ne répond pas, se mordillant les lèvres et fuyant le regard du vieil homme. Herman hoche la tête et comprend qu'il ne sert à rien d'insister. Malgré tout, la petite interaction qu'il a pu avoir avec la petite semble lui avoir sincèrement fait plaisir. 

- Voici votre matériel du jour, reprend Herman. 

Ayant déjà tout payé lors de notre première visite, je me contente de prendre ce qu'il me tend, avant de le donner à Lucy. Herman nous explique de quelle manière utiliser le matériel avec calme et patience, et je sens que la fillette est attentive. Je peux sentir son envie de créer cette marionnette. Je me demande si elle avance au fil des jours chez elle, peut-être avec ses parents. J'espère que ça ne leur pose pas de problème qu'un inconnu achète des choses à leur fille. Je ne me suis jamais posé la question, Lucy ne m'a jamais vraiment parlé d'eux.

En ressortant de la boutique après avoir salué Herman, je ne peux pas m'empêcher de demander à Lucy :

- Tes parents sont d'accord pour que je t'offre tout ça ? 

Elle fuit mon regard et se contente de hocher rapidement la tête. 

- Tu as commencé à construire la marionnette ? D'après Herman, tu peux commencer à faire le corps. 

- Oui. 

- Tu me montreras une fois que c'est fini ? Elle devrait être prête pour Noël pas vrai ?

Elle lève ses grands yeux vers moi et me regarde longtemps :

- Je pense que oui. 

Le vent du début du mois semble se rafraichir au fil des jours qui s'écoulent, et lorsqu'une bourrasque déséquilibre presque Lucy, je propose :

- On devrait aller s'abriter. Il y a un arrêt de bus juste en face. 

Juste à cet instant, un déluge s'abat sur nous, et j'attrape la main de la petite en l'entraînant à ma suite, courant à une vitesse raisonnable pour atteindre l'abri. Le temps a changé en une demi-seconde, nous laissant à peine le temps de voir arriver l'averse, et nous voilà à courir dans la rue encore pleine de passants équipés d'un parapluie. Quand enfin nous sommes au sec, je tourne la tête vers Lucy, et je réalise qu'un immense sourire étire ses lèvres. Je ne l'avais jamais vu sourire avec autant de force, de sincérité et de lumière, j'en ai le souffle coupé. Ses boucles blondes sont trempées, son manteau beige a prit une nouvelle teinte, mais pourtant elle a l'air plus heureuse que jamais. 

- Tu vas bien ? 

- Oui, répond t-elle, le souffle court. C'était marrant. 

Je retire mon manteau avant d'également enlever mon sweat resté au sec, avant de le tendre à Lucy. 

- Tiens, retire ton manteau trempé et mets ça. 

Toujours en souriant, elle obéit et se retrouve avec un sweat jaune poussin qui lui tombe aux genoux. Elle me regarde ensuite, un peu perplexe, avant de soudainement rire. Un vrai rire. Un rire d'enfant, pur, simple et précieux. Un son cristallin qui me réchauffe le cœur. 

- Je ressemble à toi ! lance-t-elle, hilare. 

Je ris aussi :

- Tu n'aimes pas ? 

- Il est trop grand ! Je ressemble à un Pikachu géant !!

Amusé par cette drôle de métaphore, je ris franchement à ses côtés. Quand nous réussissons à nous calmer après quelques longues secondes, Lucy reprend :

- Tu es marrant Felix, tu es pas comme les autres adultes. 

- Ah oui ? Tu sais que les adultes peuvent être marrants parfois. 

- Pas ceux que je connais. 

- Tu ne ris pas avec tes parents ? 

- Non. 

Elle cesse de sourire et je me demande si j'ai bien fait d'évoquer ce sujet.

- La pluie s'est calmée. Je te raccompagne ? 

- Non, je vais rentrer seule. Je peux garder ton sweat ? J'ai encore froid. 

- Bien sûr. 

L'ambiance s'est calmée bien vite, et je retour à la réalité semble blesser Lucy. Je la regarde s'éloigner en trottinant, emmitouflée dans un sweat géant, me demandant à quoi ressemble sa vie lorsqu'elle rentre chez elle. 

Deux bouts de carton et une ficelle ➳ 𝔉𝔢𝔩𝔦𝔵Où les histoires vivent. Découvrez maintenant