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- Maman ? Tout va bien ?

- Oui... 

- Il faut que tu sonnes.

Ma mère est immobile depuis de longues secondes devant la porte close de chez Lucy, sans oser faire un geste. Comme si elle avait peur de ce qu'elle allait découvrir à l'intérieur. 

Olivia et moi avons réussi à convaincre nos parents de faire un pas vers les parents de Lucy pour faire tomber les préjugés et rumeurs. Alors nous voila, en pleine matinée, devant la maison aux volets bleus. Le silence semble régner à l'intérieur.

Finalement c'est Olivia qui sonne. Nous sommes venus tous les trois pour ne pas intimider la famille, et je me sus dit que voir ma sœur pourrait aussi rassurer Lucy qui sera sûrement perturbée par notre visite.

La porte s'ouvre sur une femme. Plus grande que moi, les cheveux attachés en queue de cheval et les yeux soulignés par de larges cernes, elle sourit faiblement. 

-Bonjour, je peux vous aider ?

Ma mère prend la parole après s'être raclé la gorge :

- Bonjour, nous sommes les voisins, juste ici. Nous sommes venus vous saluer puisque cela fait un moment que nous nous sommes vus.

La mère de Lucy lève un sourcil sceptique.

- Nous nous connaissons ? 

- Pas encore, intervient Olivia. Mais nous connaissons votre fille et... Notre sœur cadette était dans la même école que votre fils.

La femme reste silencieuse de longues secondes, comme étonnée, avant de murmurer :

- Si vous êtes encore des journalistes...

- Du tout, nous voulons simplement discuter. Mon fils a fait des brownies, reprend ma mère.

Elle semble hésiter, puis se décale :

- Bon. Entrez.

La maison est rangée, soignée, et je sens ma mère se détendre. Une bonne odeur de gratin au fromage flotte dans l'air et tout est décoré avec goût. Ce n'est visiblement pas du tout ce à quoi elle s'attendait au vu des rumeurs qui circulent sur le couple. Pas de trace d'alcool ni de drogue, la femme a l'air tout à fait normale en omettant la fatigue extrême qui semble l'habiter. J'espère en savoir plus sur les conditions de vie de Lucy lorsqu'elle est chez elle en étant chez elle. Justement je croise le regard de la fillette qui apparaît dans le salon, alors que nous prenons place sur le canapé. Elle ouvre de grands yeux :

- Felix ? 

- Vous connaissez vraiment ma fille ? s'étonne la mère.

- Bien sûr, nous ne sommes pas des menteurs.

Lucy vient vers moi, impressionnée par ma présence et celle de ma mère et Olivia et me prend la main.

- Je vois... Je vous sers à boire ?

Quelques minutes explicatives plus tard, Isabella, la mère de Lucy, est mise au courant de la relation que j'entretiens avec sa fille. Elle ne semble pas en colère, seulement surprise.

- J'ignorais que Lucy sortait chaque soir... 

La fillette assise près de moi baisse la tête en joue avec ses doigts :

- C'est parce que vous êtes trop occupés...

La mère ne répond pas puis hoche la tête en justifiant :

- Vous n'êtes pas sans savoir que notre fils est décédé il y a deux ans. C'est une épreuve dont on ne peut pas se relever.

- Mais tu n'as jamais le temps de jouer avec moi comme avant...

- Lucy, pas maintenant, s'agace Isabella. On en parlera plus tard. Et ne crois pas que tu ne seras pas punie pour toutes ces sorties en douce. 

La fillette se cramponne à ma main, puis sa mère soupire :

- Excusez moi... Vous devez me prendre pour une mère indigne... 

- Pas du tout, sourit ma mère avec bienveillance. Perdre un enfant est une tragédie dont on ne guérit jamais. 

- Mais Lucy est là, dis-je. 

- Je le sais. Je sais que nous sommes moins présents pour elle. C'est simplement... Compliqué... Et elle ressemble tant à son frère...

Je déglutis avec difficulté. La mère croise mon regard et continue :

- Vous savez, je suis au courant des rumeurs. Cela m'est égal ce que les gens pensent de moi. Je suis trop malheureuse pour me battre contre ça.

- Les rumeurs sont fausses... murmure ma mère.

Nous pouvons lire dans les yeux d'Isabella toute sa peine et sa sincérité. C'est tellement sincère que cela nous brûle. La douleur toujours présente dans les yeux de cette mère explique tant de choses... Le sentiment d'abandon de Lucy qui a l'impression d'avoir perdu ses parents en même temps que son frère, la disparition des parents dans leur tristesse, délaissant sans le vouloir leur deuxième enfant. Ils ne sont pas drogués ou alcooliques, simplement absents, dans leur propre monde, loin de leur propre fille, happés par la douleur d'avoir perdu leur fils.

- Votre mari n'est pas là ? Nous aimerions vous proposer quelque chose, dit ma mère.

- Il travaille. Dites moi. 

- Que diriez-vous de venir dîner chez nous pour Noël ? Nous pourrions faire plus ample connaissance, qu'en pensez-vous ? 

Lucy sert ma main un peu plus fort. Je sais qu'elle espère que sa mère dise oui. 

- Pourquoi pas... J'en parle avec mon mari ce soir. 

Je saute sur l'occasion pour demander :

- Est-ce que cela vous convient si je passe prendre Lucy et que je la ramène ensuite le soir ? Cela évite qu'elle sorte seule en cachette et je sais qu'elle tient beaucoup à nos sorties, proposais-je.

- Rappelez moi qui vous êtes jeune homme ? 

- Lee Felix. 

Elle regarde sa fille qui me tient toujours fermement la main. Elle hésite.

- Vous avez l'air sincère. 

- Je le suis. 

- C'est Felix maman, il est gentil... murmure Lucy.

Isabella me fixe longuement puis elle hoche la tête. 

- Très bien, J'attendrai Lucy tous les soirs à la même heure.

Je souris :

- Parfait. 

Après de longues heures de discussion durant lesquelles nous avons parlé de tout et de rien, Isabella nous raccompagne jusqu'à sa porte :

- Merci d'être venus. Je crois qu'il est temps pour nous de sortir de cette trans et de nous reconnecter au monde réel. Pour le bien de notre fille et le nôtre, souffle Isabella. Merci d'avoir osé, merci vraiment.

Nous lui sourions une dernière fois avant qu'elle referme la porte derrière nous. Et tout le monde se sent alors plus léger.

Deux bouts de carton et une ficelle ➳ 𝔉𝔢𝔩𝔦𝔵Où les histoires vivent. Découvrez maintenant