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- Tu viens avec nous Olivia ? demande Rachael en enfilant son manteau. 

- J'arrive ! 

Je souris quand ma sœur ainée court chercher son manteau à l'étage. C'est le genre de moments qui m'ont tant manqués et que je ne pouvais plus attendre de revivre. Les balades en fin de journée après avoir passé des heures à rattraper le temps perdu, sous les décorations de Noël qui s'allument unes à unes, illuminant si joliment les rues de Sydney, aux côtés de mes parents et mes sœurs adorées. J'aime être seul ou avec les garçons, mais ces instants en famille ont une saveur particulières, encore plus délectables que celle du pain d'épice encore tiède. 

- Je suis prête !

Mon père ferme la porte derrière nous et nous voilà partis pour une promenade magique, digne des films de fêtes de fin d'années bien clichés mais que l'on adore tous regarder. 

Il est encore tôt, mais le jour descend déjà doucement, alors que les premières guirlandes et les premiers sapins géants s'allument doucement. 

J'inspire profondément alors que le vent vient fouetter mes cheveux blonds et créer des frissons de bonheur sur tout mon corps. J'ai envie de savourer chaque seconde et mémoriser tout ce qui m'entoure afin d'être capable de me rejouer ces moments en boucle dans ma tête plus tard. Je sens la main froide de ma sœur cadette se glisser dans la mienne et je baisse les yeux vers elle, y lisant des étoiles dans les siens. Je sais que je lui manque beaucoup, je le sens dans sa voix quand on est au téléphone. Mais en cet instant je suis là et c'est tout ce qui compte. 

Nous déambulons parmi les petits commerces qui ferment peu à peu, et je reconnais la rue dans laquelle je me suis arrêté hier avant de rejoindre ma famille. Celle avec la fillette et l'antiquaire. Ma curiosité me pousse à savoir si elle est revenue, alors je tends le cou mais ne voit rien, le nombre de passants étant trop important. 

- Felix ? Tu m'écoutes ? 

- Quoi ? 

Olivia rit en me bouscule gentiment :

- Toujours dans la Lune toi. Rachael te parlait de Ethan.  

- Le garçon de ton école ? Celui qui mangeait de la colle en maternelle ? dis-je en tournant mon regard vers la plus jeune. 

- Oui, rit elle. Il m'a demandé de tes nouvelles l'autre jour. 

- Tu aurais dû simplement lui dire d'allumer sa télévision, plaisante Olivia.  

- Je ne savais pas que vous étiez amis maintenant ? m'étonnais je. 

Rachael rougit et détourne les yeux alors que je sens avoir mit le doigt sur un sujet intéressant qui mérite d'être creusé. J'allais reprendre et taquiner ma sœur, quand mes yeux se posent distraitement sur un long manteau beige au loin qui déambule près de la boulangerie. Un manteau qui s'arrête devant un vitrine. Un manteau si grand, qu'il cache presque complètement la personne qui le porte et dont on devine uniquement les boucles dorés. Coupé dans mon élan, je bredouille, sans lâcher la petite des yeux :

- Je... Je reviens, je dois voir quelque chose. Avancez au square sans moi, je vous rejoins. 

Je laisse ma famille et traverse la rue en trottinant, le cœur battant. Cette fois, je suis bien décidé à comprendre pourquoi cette enfant est seule à presque six heures du soir, devant cette vitrine, par un froid qui se fait de plus en plus glacé au fil du mois de décembre. Je ne sais pas vraiment quoi lui dire pour ne pas lui faire peur ou la brusquer, mais la voir ainsi me perturbe plus que je ne le pensais. En vérité après être parti hier, je m'en suis voulu de n'avoir rien fait pour elle, de m'en être allé sans rien de plus. 

Arrivé à son niveau, j'hésite à me baisser à son hauteur. J'aurais peut-être l'air moins intimidant ? Dos à moi, elle peut deviner mon reflet dans la boutique, et alors que j'allais parler, j'entends :

- Tu es revenu ?

La voix est timide, cristalline et si peu forte que j'ai peur de l'avoir imaginé pendant une seconde. Mais non, c'est bien l'enfant qui vient de parler, contre toute attente. 

- Oui, comme tu le vois, dis-je alors d'une petite voix. 

Elle se retourne alors vers moi et plonge son regard dans le mien : 

- Pourquoi ? 

- J'étais avec ma famille et je t'ai vu, alors je-

- Tu n'es pas venu pour moi, coupe-t-elle en baissant les yeux. C'est le hasard.  

Cette conclusion semble lui briser le cœur et elle abaisse son regard sur le trottoir recouvert d'une légère couche de givre. J'aurais peut-être dû dire autre chose ? Cette petite semble très fragile, sensible à chaque détail, chaque mot. 

- Non, je t'ai cherché du regard, avouais-je alors. 

Elle lève de nouveau son regard vers le mien et je peux y lire ce que je devine être de l'espoir. Un espoir épuisé qui semble avoir beaucoup été usé, mais un espoir sincère, presque désespéré. Comme un cri de détresse. Je déglutis avant de reprendre : 

- Tu viens toujours ici ? 

- En sortant de l'école. 

- Tes parents ne viennent pas te chercher ?

Elle secoue la tête. 

- Ils ne sont pas inquiets pour toi ? 

Elle secoue la tête de nouveau.

- Et pourquoi tu t'arrêtes ici ? 

- J'aime bien ça, dit-elle en montrant la vitrine du menton. 

Je n'avais pas fait attention la veille, mais une sorte de construction avec des cartons et des ficelles qui semble être maintenue au scotch se tient derrière le coin gauche de la vitre. Je ne suis pas sûre de ce que c'est sensé être, mais cette marionnette géante aux yeux dessinés au stylo noir semble hypnotiser la petite. Sûrement une construction faite avec divers objets à vendre chez l'antiquaire qui, personnellement, me fait un peu froid dans le dos. 

- Qu'est-ce que c'est ? demandais-je d'une voix douce, soucieux de comprendre ce qui captive la fillette dans cette sculpture étrange. 

Elle ne répond pas. J'ai envie de poser d'autres questions, mais l'enfant me tourne le dos de nouveau, comme si le sujet était tabou, difficile à aborder pour elle. J'ai le sentiment que la conversation est terminée. Je tente néanmoins :

- Comment tu t'appelles ? 

- Lucy, répond elle, les yeux de nouveau rivés sur la vitrine.

- D'accord Lucy. Alors je reviendrai demain pour te voir si tu veux bien. 

- Pour me voir moi ? 

- Oui. 

- Tu promets ? 

Je lui sourit dans la vitre :

- Promis Lucy. 

Deux bouts de carton et une ficelle ➳ 𝔉𝔢𝔩𝔦𝔵Où les histoires vivent. Découvrez maintenant