les yeux derrière toi

Chapitre 14

Je me réveille doucement, la tête d'Emmy encore posé sur mon torse. Nous nous sommes endormis sur la plage. Étrangement, c'est la première nuit où je ne fais pas de cauchemars depuis des mois. La seule où j'arrive à ne pas me réveiller avant l'heure. Je commençais même à croire que ça n'arriverait plus. Il faut croire que de dormir avec les deux femmes de ma vie m'apaise.

Mon premier réflexe est d'appeler ma mère pour lui dire que nous sommes toujours envie, mais je me retiens. Premièrement, parce qu'elle doit surement encore travailler, et, deuxièmement parce que je n'ai aucune envie de bouger. Je crois que je pourrais rester comme cela toute ma vie, sans jamais m'en lasser.

Emmy se réveille doucement, en même temps que ma sœur. Isi se lève et court dans tous les sens en criant qu'elle est conne. Tous mes sens se mettent en alerte, je suis maintenant complètement réveillé. Je me mets sur mes pieds et attrape ses bras, pour l'empêcher de s'étourdir.

Elle pleure.

Cette seule pensée me fait horriblement souffrir. Je lui intime de se calmer et de m'expliquer ce qui s'est passé.

- J'avais rendez-vous avec mon copain ce matin et je l'ai manqué.

Depuis quand elle a un copain ? Et surtout, pourquoi ne me l'avait-elle pas dit ? Je croyais que l'on se disait tout, elle et moi, apparemment j'avais tort.

- Hey, ce n'est pas si grave, il comprendra.

- C'est toi qui ne comprends pas Shawn, il va me frapper!

C'est comme si une douche froide me tombait sur la tête. Elle ne s'est quand même pas remise avec son ex, n'est-ce pas ? Pitié qu'elle n'ait pas fait ça. Elle mérite tellement mieux qu'un connard qui l'a traite comme une moins que rien. Je reste figé devant la scène, incapable de bouger.

Aussi, ça me détruit qu'à un si jeune âge un gars ait cette mentalité. À moins qu'il ne soit plus vieux ? À vrai dire, j'ai toujours déduit qu'il était dans la même classe, mais peut-être que je me suis trompé depuis le début de toute façon, peu importe son âge, il n'a pas à faire subir ce genre de choses, et à n'importe qui d'autre, d'ailleurs.

- Si je peux me permettre, Isi, tu es une fille extraordinaire et tu ne devrais pas laisser un garçon te rabaisser à ce point, intervient Emmy et je l'en suis reconnaissant.

- Mais, je ne peux pas le quitter, parce que si je fais ça, ce sera encore pire.

- De quoi tu parles ? je m'entends prononcer

- Il me menace.

Je hausse un sourcil, déjà fou de rage.

- Qu'est-ce que tu veux dire ? Je demande pour être bien sûr.

- Il... il... a dit que si je le quittais, il... il... va raconter à toute l'école des grosses conneries. Que notre père est parti à cause de moi ou encore d'autres trucs faux sur moi.

Je jure que si je le retrouve, je détruirai son petit sourire de con. Oups, je l'ai dit à voix haute. Je ne voulais pas qu'Emmy et Isi l'entendent, de peur qu'elles prennent la fuite. D'ailleurs, cette dernière me fusille du regard. Puis, son visage se transforme en torrent de peur et peut-être même un peu de tristesse.

Ne fait pas cela Shawn s'il te plait, je n'ai pas le droit d'en parler. Il ne doit en aucun cas le savoir, je vous en prie, dit-elle en me fixant Emmy et moi.

Il faut qu'elle en parle, si elle ne veut pas qu'il recommence indéfiniment. Je ne peux définitivement pas laisser ma sœur, pas après tout ce qu'elle a vécus en si peu de temps. Je n'en serais tout simplement pas capable.

- Je ne comprends pas pourquoi tu ne veux pas en parler. Plus tu continueras dans cette relation, plus elle te mettra à terre, elle va finir par te briser en mille morceaux, voire même te tuer. - Je suis déjà morte, intérieurement. Je suis déjà fracassée en des milliards de petits bouts.

Sa voix est si douce, comme un murmure, pourtant, elle me fait l'effet d'un poignard. Je sais que la plupart de ses sourires sont faux, mais, bêtement, j'ai cru qu'elle n'allait pas si mal. J'ai cru que ce n'était dû qu'au stress de la rentrée. J'aurais surement dû être plus attentif. Elle me fait un sourire discret, comprenant que je l'ai entendu. Emmy, elle, elle reste discrète. Elle ne dit rien, mais comment oublier sa présence avec l'effet qu'elle me fait?

Mes yeux se remplissent d'eau par eux-mêmes. Je n'en peux plus. C'est trop demandé qu'elle soit heureuse, au moins le temps d'une journée ? Je me fiche d'aller bien ou mal, je veux juste qu'elle n'ait plus à souffrir, à porter toute cette douleur sur ses épaules.

Je ne sais pas c'est quand la dernière fois que je l'ai vu sourire, pour de vrai, je veux dire. Je voudrais être là pour elle, pouvoir l'aider à surmonter tout cela. Malheureusement, je suis un trop piètre grand frère pour pouvoir la protéger du monde extérieur. Notre mère n'est déjà pas très présente, et maintenant même moi je n'y arrive pas.

Je me sens tellement mal, mal de n'avoir pas su la secourir et maintenant, à cause de moi, elle doit assumer ce calvaire toute seule. Je sais que ce n'est pas de ma faute et que je ne peux rien y faire, mais je me surprends souvent à penser que j'aurais dû être plus si ou ça. Que si j'étais moins sa ou si, peut-être qu'elle serait plus heureuse.

Emmy ne semble pas avoir entendu ce que ma sœur a dit, ou alors elle le cache très bien, et, j'imagine, c'est mieux comme ça.

- Donc, tant qu'à y être autant me tué pour de vrai, de toute façon ça ne fera de mal à personne, et je ne manquerai pas à quiconque.

Ça me brise le cœur qu'elle pense comme ça, car, pour moi, elle compte plus que tout au monde.

- Je refuse que tu dises ça, parce que c'est faux, évidemment.

- Alors, à qui je manquerai ?!

Cette fois, elle a crié, malgré ses pleurs, mais je ne lui en veux pas, je sais que ce n'est que toutes ses émotions qui se mélangent entre elles. Je réponds du même ton qu'elle.

- Moi !

Une larme perle au coin de mon œil, j'ai tellement peur qu'il y ai une goutte de trop et qu'elle fasse le grand saut.

Entre-temps, Emmy s'est éclipsée, considérant sûrement qu'elle n'avait pas d'affaire à être dans cette conversation, je l'en remercie, mentalement, de tout mon cœur, même si elle ne le sait pas.