Chapitre 21

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La jeune femme avait l'impression que son quotidien se résumait désormais à regarder mélancoliquement par les grandes fenêtres de sa demeure et d'errer dans les longs couloirs comme une âme en peine. Chaque minute lui semblait être une torture et l'enfonçait de plus en plus profondément dans sa culpabilité. Car oui, Abigail se sentait coupable, effroyablement coupable.
Elle se ressassait inlassablement l'expression déçue de Calian et son air si froid qu'elle sentait encore son cœur geler sous le coup. Leur dernière entrevue avait porté un coup terrible à son humeur et elle n'arrivait tout simplement pas à s'en remettre.

Elle l'avait blessée et elle ne savait point comment lui faire parvenir ses regrets. Des mots paraissaient bien trop fades et le revoir l'embarrasserait davantage.
Elle se retrouvait perdue dans la complexité de ses désirs et de ses émotions. De ce qu'elle pouvait faire ou non, de ce qu'elle souhaitait faire et qui était prohibé.

Elle contemplait d'un air vide les tableaux et se plongeait plus profondément dans sa morosité. Ses envies dansaient dans son âme et sa tête et sa raison et son cœur bataillaient dans un duel sans fin.
C'est elle-même qui avait souhaité tout arrêter, paniquée à l'idée de faillir à ses devoirs de bonne épouse et pourtant...

Depuis son plus jeune âge, on l'avait conditionnée à respirer seulement sur commande, à courber la tête, à se plier en quatre et en huit pour satisfaire chaque désir et de patienter. Toujours et encore la patience.

Cette éducation formatait sa soumission actuelle, et façonnait son malheur de toute pièce. Elle qui avait appris à toujours faire passer ses envies au second plan, souffrait de chaque décision que son éducation l'obligeait à prendre.

Car qui véritablement décidait de ses choix dans sa vie ? Était-ce les acteurs de son enfance, hantant dès son plus jeune âge chaque désir et la poursuivant même dans son indépendance et la plongeant dans une marée de regrets ?
Oui, elle se devait de conserver une certaine emprise sur elle-même et elle ne regrettait pas l'instant de force qu'elle avait eu, rejetant son désir inconcevable pour Calian. Elle ne voulait pas s'échapper de ses maitres actuels pour un autre qui contrôlerait son cœur.

Mais il n'empêche, son cœur la faisait souffrir. Elle qui n'avait jamais rien désirer vraiment de toute sa vie, elle voyait son objet de convoitise lui être arraché par ses propres mains.

De tout temps, la raison et le cœur bataillait et demeureront des ennemis jurés jusqu'à la fin des temps. Faisant souffrir atrocement chaque victime prise dans ce dilemme.

Abigail chassa un voile de larme inopportun et battit des cils. Le tableau devint flou un instant puis retrouva sa clarté mais elle ne s'en souciait pas. Elle avait l'impression de s'être transformé en ses jeunes filles romantiques et mélancoliques, volant d'état d'âme à état d'âme et ne trouvant jamais véritablement de paix intérieure. Et elle enrageait de savoir qu'un homme la plongeait dans d'aussi profondes réflexions.

Oui, elle ne regrettait pas la force qu'elle avait eu de le repousser et d'avoir conservé assez d'empire sur elle-même mais...
Pouvait-on lui en vouloir d'avoir regretté l'espace d'un instant, juste un battement de cil, de ne pas avoir pu poser ses lèvres sur celles du voleur ?

**

-Je vous trouve bien triste ces derniers temps.

Abigail releva des yeux las pour les fixer sur James. Ils prenaient le thé tous deux, dans un silence froid comme chaque jour de la semaine. L'atmosphère dans leur maison s'accordait parfaitement avec le début maussade du printemps. La saison des fleurs et des amours tardait et renvoyait une pâle copie des débuts d'hiver.

-Je suis... commença Abigail mais son mari secoua la tête.

-Ne me dites pas que vous êtes fatiguée, je ne vous croirais pas. Changez d'excuse Abigail. Je commence à vous connaitre.

AshtonOù les histoires vivent. Découvrez maintenant