HOAX

33. Emilia

Au milieu d'une foule de lycéens attendant que notre lycée ouvre ses portes, je repère Nassima et Shanice qui discutent sur le parvis, près des grilles. J'avance dans leur direction.

— Tu vas bien ? me demande Nassima en déposant deux bises sur mes joues.

— Oui, je réponds en tentant d'étouffer un bâillement.

Shanice arque un sourcil, curieuse.

— Courte nuit ? Est-ce qu'on aurait passé un peu trop de temps sur son téléphone, mademoiselle ?

J'acquiesce, sentant le rouge me monter aux joues.

— En quelque sorte.

Nassima esquisse une moue amusée.

— Tout semble rouler parfaitement avec ta beauté ultra connue, du coup.

Je suis profondément amoureuse. Je pense à lui matin, midi et soir. Au lever, au coucher. En prenant ma douche, en cuisinant, en préparant mon sac de cours, en faisant mes devoirs, en faisant du sport, en allant au lycée.

À chaque petit événement qui survient dans ma journée, je pense instantanément à le raconter à Nalo et je me demande ce qu'il va en penser, ce qu'il va me répondre.

Tom nous rejoint.

— Comment ça va, tout le monde ?

— L'une de nous ne dort plus la nuit, lui répond Shanice avec un clin d'œil grossier.

Tom nous dévisage, chacune notre tour.

— Qui ça et pourquoi ça ?

Nassima me pointe du doigt.

— C'est juste Emilia qui passe tout son temps sur son téléphone avec son petit ami multimillionnaire.

— Il n'est pas multimillionnaire ! je m'exclame.

Ma réplique me surprend moi-même. Mes trois amis se marrent.

— Bien sûr que si ! lance Shanice.

— Non, non, il n'a pas un rond, se moque Nassima.

— Emilia, tu te doutes bien de combien gagnent les youtubers avec autant d'abonnés.

Tom m'interroge du regard. Je hoche la tête.

— Beaucoup d'argent, je sais, mais combien exactement, non.

— Vous n'en avez jamais parlé ?

Je me tourne vers Nassima et finis par déclarer :

— Non, jamais.

— Sérieux ?!

D'un mouvement de tête, je fais signe que oui. L'argent n'a jamais fait son apparition dans nos conversations. Nalo ne se vante pas d'en avoir, tout comme il ne me demande pas si j'en ai (quelques euros d'argent de poche, en ce qui me concerne). Ce n'est pas un sujet, basta. On ne l'évite pas, mais, pour l'instant, on n'a pas eu besoin d'en parler. Ni l'envie, en fait. Combien gagne Nalo, je m'en contrefiche.

— C'est fou, lâche Shanice.

— Tu n'es pas curieuse de savoir ?

Je n'ai pas besoin de réfléchir une seule seconde pour répondre :

— Pas du tout.

Un sourire sarcastique flotte sur les lèvres de Tom.

— Dans tous les cas, il gagne beaucoup de fric, ça c'est sûr, juge-t-il.

— Et qu'est-ce que ça peut faire ? je lui rétorque vivement.

Surpris par mon ton abrupt, Tom se renfrogne.

— Du calme ! On n'a pas le droit de parler des millions que gagne ton chéri ?

Les filles m'observent, les sourcils froncés.

— Tout va bien, vraiment ?

— Oui. Pardon. C'est juste que j'ai l'impression que l'argent est un sujet sensible.

— Peut-être pour toi, pas pour nous ! me répond Shanice.

— On se fout de combien gagne ton mec, du moment que tu es heureuse, ajoute Nassima.

Je sais qu'elles le pensent.

— Et tu es heureuse, n'est-ce pas ?

C'est à la fois une question et une affirmation. Je leur offre un sourire sincère.

— Absolument.

— C'est tout ce qui compte, affirme Shanice.

Un léger silence flotte. Je lance :

— D'ailleurs, on a prévu de se voir très bientôt !

Mes trois amis se mettent alors à me regarder avec curiosité.

— Génial !

— Ah ouais, quand ça ? m'interroge Tom.

— Tu dois être super excitée !

J'opine avec vigueur.

— Oui, j'ai trop hâte. Il m'a dit qu'il faisait son possible pour venir très bientôt. Il me tient au courant, mais ça ne saurait tarder.

Mes amis échangent un regard que je n'ai pas de mal à déchiffrer. Ils ne me croient pas. Je ravale ma frustration et ma contrariété et leur adresse un sourire forcé.

— Ce sera bientôt. Très bientôt.

— Top. Tu nous tiendras au courant de toutes façons, me dit Shanice avec un clin d'œil.

— Ça, tu nous le diras, lâche Nassima, faisant référence au fait que je ne leur partage plus grand-chose.

Là, tout de suite, je me félicite de le faire. De garder pour moi tout ce qui se passe entre Nalo et moi. Tout ce qu'on se dit et, surtout, tout ce qu'on s'envoie.