HOAX

42. Emilia

- Tu vas bien ?

Il est très très rare que ma mère et moi, nous nous retrouvions pour le petit-déjeuner avant que je parte au lycée. Il y a eu un changement de planning, une histoire de remplacement de collègues ou je ne sais quoi, je n'ai pas très bien compris, du coup, ma mère est rentrée plus tôt hier soir et part plus tôt ce matin.

Je remplis un bol de céréales, l'arrose de lait d'avoine (mon péché mignon) et je m'assieds à la table de la cuisine.

- Oui, juste fatiguée, je lui réponds.

Ma mère se sert un café, puis vient s'installer en face de moi.

- Tes frères m'ont dit que tu passais la soirée avec Tom, hier. C'était sympa ?

J'acquiesce en enfournant une énorme cuillère de céréales dans ma bouche. Je mastique tout en lui répondant :

- Très. Je n'ai fait que le battre à toutes les machines, donc c'était une très bonne soirée.

Ma mère rit.

- Ma compétitrice.

C'est vrai, je le suis. Je l'ai toujours été. Mes frères en ont souvent fait les frais. Ma mère aussi, d'ailleurs.

- Ma grande fille pleine de caractère.

Ça aussi, c'est moi. Même si, en ce moment, je n'ai plus tant l'impression que ça d'être une personne avec un fort caractère. Au contraire.

J'étouffe un bâillement.

- Tu es rentrée tard ?

- Pas trop.

- Pas assez dormi en tout cas ?

Absolument. J'ai peu et très mal dormi. Quand j'ai quitté la salle de jeux, hier soir, avec Tom, j'ai regardé mon portable. Je ne m'attendais pas ça. Je ne m'attendais pas à y trouver tous les messages de Nalo. J'avais disparu subitement, oui, mais je ne pensais pas que ça le mettrait dans un tel état. Je n'en ai pas dormi.

Mais je me contente de dire à ma mère :

- Mal au bide. Les Anglaises vont débarquer.

Ma mère me fixe un instant.

- C'est vrai qu'avec mon boulot, on se croise peu en ce moment. Mais je suis là pour toi, tu sais. Tu peux me parler de tout ce que tu veux.

Je fais oui de la tête avant de plonger le regard dans mon bol.

- Oui, je sais.

- Je ne comprends peut-être pas tout à votre époque avec vos réseaux sociaux et tout ça, je suis vieille moi, plaisante-t-elle.

Ma mère a eu mes frères tard, et moi, encore plus. Mais je ne l'ai jamais trouvé « vieille » !

- Mais non, t'es pas vieille !

Ma mère tend son bras et vient me caresser la joue.

- Tu as raison, je suis juste dépassée par tout ce qui vous concerne, les jeunes. Mais je pense que dans le fond, tous les jeunes de toutes les générations rencontrent les mêmes problèmes. Qu'en dis-tu ?

Je hausse une épaule.

- Sûrement.

Je suis consciente que ma mère me prêtera toujours une oreille attentive. Je peux lui parler de tout, elle est très compréhensive. Elle l'a toujours été avec nous trois. Je dois pouvoir lui parler de ce que je vis.

Soudain, les voix de mes frères résonnent juste avant qu'ils ne surgissent dans la cuisine.

- Salut ! hurle Nolan. Alors alors, la sœurette, cette soirée jeux avec TomTom ?

- Je parie que tu l'as défoncé ?!

Notre mère fronce les sourcils.

- Ethan, ton langage.

Ethan affiche une petite moue désolée avant de se tourner vers moi, clairement dans l'attente de ma réponse.

- Oui, je me suis bien occupé de son cas.

Il applaudit.

- Yes, c'est ma frangine, ça !

Je souris légèrement. Ethan reste une seconde à me fixer.

- Ça va ?

- T'as une drôle de tête, lance Nolan, les sourcils froncés.

- Oui, oui, ça va, juste mes règles, rien de spécial, j'expédie.

Je regarde l'heure affichée sur la pendule au mur. J'ai laissé mon téléphone dans mon sac. J'avais besoin d'une pause.

- Je dois aller en cours.

Je me lève, ma mère pose doucement sa main sur mon avant-bras.

- On continue la discussion plus tard si tu veux ?

Ça veut dire un autre jour, à une autre occasion. On ne se verra pas ce soir, elle termine trop tard et elle dormira quand je me lèverai demain matin et que je partirai au lycée, donc, concrètement, on ignore toutes les deux quand on pourra reprendre cette discussion. Mais, pour lui faire plaisir, j'opine avant de quitter la pièce. J'entends mes frères rigoler avec ma mère lorsque je claque la porte d'entrée.