Le départ

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Il faisait à peine jour lorsque j’arrivai chez Valmont. Ce dernier était en compagnie de Gilles Lebrun, notre chauffeur durant l’ensemble du voyage. Au vu de son allure soignée et de l’élégance de ses habits, ce quadragénaire était l’un des voituriers missionnés par la cour.

Les deux hommes sanglaient malles et valises au-dessus d’une diligence tractée par quatre destriers à la robe baie et aux crins bruns, le physique taillé pour les courses longue distance avec leurs membres robustes et leurs larges sabots. Les montures renâclaient et piaffaient d’impatience. De la vapeur s’échappait de leurs naseaux et s’étendait dans l’air frais du petit matin.

Mes biens sous le bras, je payai le cocher puis, avec l’aide de mon acolyte, chargeai mes affaires à l’intérieur de l’habitacle. Quand mes mains furent libérées, je tendis ma paume à Hippolyte qu’il pressa dans la sienne de manière bien moins rude que la dernière fois.

Nos affaires parées, monsieur m’invita à prendre place dans le véhicule en bois noir laqué. Je m’exécutai puis patientai, heureux de trouver un moyen de transport bien plus confortable que celui que je venais de quitter. L’assise était moelleuse et tapissée d’un tissu de velours gris encore épargné de trous et de taches. L’intérieur ne sentait ni l’urine ni le tabac et les vitres lavées permettaient une bonne vision du paysage.

De son côté, Valmont était en grande conversation auprès de sa domestique qui lui tendit un paquetage et l’enlaça avec ardeur avant de l’embrasser de manière tout aussi passionnée. Je fus interloqué par ce spectacle mais n’en fis pas la moindre mention lorsque ce dernier entra à son tour et prit place sur la banquette. Il ne m’accorda pas l’ombre d’un regard et se contenta d’observer par la fenêtre où la jeune femme aux cheveux d’or attendait sur le trottoir. Les mains jointes et la posture bien droite, elle avait une mine affligée. Je crus même déceler une larme perler le long de sa joue pâle.

Le cocher fouetta les chevaux qui s’engagèrent au pas. Bientôt, nous quittâmes les venelles tranquilles pour nous engager dans le tourbillon du centre de Paris où les rues bondées ne permettaient de progresser qu’avec lenteur. Vendeurs à la criée, livreurs, commerçants, écoliers, mendiants… une horde de gens orchestrait le théâtre qui prenait place sur la chaussée, le tout supervisé sous l’œil inquisiteur des milices armées.

Je réprimai un rire, cette agitation ne me manquerait guère et je me faisais une joie de quitter quelque temps cette ville nauséabonde. Un peu de tranquillité et d’air champêtre me ferait le plus grand bien tant physiquement que moralement.

La semaine précédant mon départ avait été éprouvante. Car en plus de mon travail chronophage, il m’avait fallu préparer mon périple. J’avais pris soin d’agencer par piles mon nécessaire. Des vêtements chauds, manteaux molletonnés, écharpes en laine, gants et bottes fourrées étaient de mise. Je n’accordais aucune confiance à la météo dans ces régions frappées par des ondées intempestives et par de violentes bourrasques à déraciner des chênes.

J’avais scrupuleusement suivi les conseils de mon acolyte et avais pu réunir suffisamment de cachets pour les mois à venir que j’avais glissés dans une trousse. J’y avais ajouté des bandages et de l’alcool désinfectant au cas où engelures et cloques venaient à naître sur mes extrémités. Quant à mon matériel d’écriture, j’avais rangé dans une valise plusieurs carnets, plumes et encriers. J’avais même eu le flair d’emporter des récipients afin de conserver des échantillons à dessein d’étoffer mes rapports.

Après avoir quitté les allées tumultueuses, les montures purent progresser au grand trot sur cette route en terre battue, bordée par une succession de champs et de bosquets. Le silence ambiant était reposant, le temps se rythmait par les claquements de sabot ainsi que les coups de fouet donnés à intervalle régulier.

Entre Chien et LoupOù les histoires vivent. Découvrez maintenant