Les cavaliers dragons

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Il nous fallut patienter près de deux heures avant que les renforts ne surviennent. Mon arquebuse de chasse à rouet en main, je demeurais avachi sur la banquette. À mes côtés, mon camarade n’allait pas au mieux. La peur grignotait sa raison et je le voyais guetter comme un oiseau craintif la présence d’une bête qui rôde, à l’affût du moindre élément que ses sens pouvaient percevoir.

Sous le voile bleuté de la pénombre, je pouvais distinguer la grimace qui déformait ses lèvres, les soulèvements excessifs de sa cage thoracique ou le roulement de ses yeux qui ne parvenaient pas à se focaliser sur un point précis. Mais le plus dur à supporter était bien évidemment le parfum que sa peau exhalait. J’avais toujours eu du flair pour repérer une proie et la traquer, reconnaître l’odeur de la peur qui, lorsqu’elle se muait progressivement en frayeur puis en terreur, devenait on ne peut plus excitante.

Quand les renforts arrivèrent enfin, au nombre de trois cavaliers accompagnés d’une diligence, nous pliâmes bagage et rentrâmes à leurs côtés. Préalablement, nous dételâmes les montures qui suivirent docilement les miliciens de notre escorte. Vêtus d’un costume outremer aux extrémités écarlates et ourlées de boutons d’or, ces messieurs se voyaient coiffés d’un tricorne aussi noir que les bottes qui protégeaient leur pantalon.

Dans les ténèbres ambiantes, il était aisé de reconnaître ces cavaliers dragons. La mine patibulaire, ils tenaient en leur main gantée un fusil de chasse et un sabre pendait à leur ceinture. Mon échine se hérissa viscéralement à leur vue. Je haïssais ces soldats de l’ordre presque autant que les éminences qui nous gouvernaient, avec leurs airs tout aussi arrogants et leur disposition naturelle à toujours vouloir le dernier mot. Se voulant diplomates, je les considérais plutôt comme des brutes qui, si elles ne parvenaient pas à leurs fins en usant de leurs verbiages, ce serait par le fer que leur volonté s’accomplirait.

Pendant le trajet, je ne cessai d’alterner mes considérations entre les militaires et Charles. Pelotonné dans le nouvel habitacle, ce dernier épiait les alentours, les lunettes couvertes d’une pellicule de buée. Pourtant, la présence de ces cavaliers semblait avoir calmé son agitation et je maugréai intérieurement de cette fatalité. L’homme était, et je ne cesserais jamais de le répéter, le pire prédateur pour l’homme.

Certes, une bête sauvage tuait mais uniquement dans le but de se nourrir, de protéger son territoire, marquer sa dominance ou évincer un prétendant en période de rut. Le meurtre par sadisme était l’apanage de l’humain et nulle autre espèce ne lui arrivait à la cheville en termes de perversité innée. Et ces soldats, bien que travaillant à la solde du roi, n’avaient pas épousé cette carrière sans avoir quelques prédispositions à la violence.

Nous franchîmes un pont de pierre où un militaire faisait le guet sous un abri de fortune, puis entrâmes dans l’enceinte du village de Valecombes. Il était perturbant de voir cette architecture en pierre plongée intégralement dans le noir, sans nulle flamme pour s’orienter hormis celles accrochées à notre véhicule. Il devait être à peine vingt heures et voilà que le village semblait endormi depuis plusieurs heures déjà. Pas une lueur de bougie n’éclairait l’intérieur des demeures, pas un hurlement de chien ni un éclat de voix. Seul résonnait le claquement régulier des sabots contre le sol boueux ainsi que le cliquetis des armes et harnachements.

— C’est sinistre, murmura Charles tout aussi inquiet que je l’étais face à cette ambiance scabreuse.

— Je suis de votre avis. C’est à croire que tous redoutent la venue de la Bête même en pleine nuit. Que la créature serait capable de faire irruption dans les maisons où les lumières sévissent une fois la nuit tombée.

— À moins que les résidents ne possèdent pas assez de bougies pour éclairer leurs intérieurs. Il faut dire qu’au vu des sentiers à emprunter pour nous rendre ici, le ravitaillement en ce genre d’objet usuel ne doit pas être aisé.

Entre Chien et LoupOù les histoires vivent. Découvrez maintenant