La Bête du haut domaine

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Ma prière au Très-Haut effectuée, je patientai plusieurs minutes sur mon prie-Dieu, les traits de mon visage tirés par les larmes que j’avais déversées. Quand ma contenance fut revenue, je me levai et sortis de l’église d’un pas traînant.

Sur le parvis de l’édifice, les villageois s’étaient attroupés. Pelles et pioches en main pour certains, arquebuses et fusils de chasse pour d’autres, les hommes se réunissaient afin d’entamer la battue pour espérer retrouver leur prêtre bien-aimé. Tous semblaient anxieux ou attristés, voyant comme un très mauvais présage que ce monstre soi-disant envoyé de Dieu puisse s’attaquer à un saint homme et lui infliger la sentence divine.

Perplexe, je me décidai à patrouiller également. Écumer la forêt en solitaire me ferait le plus grand bien et je souhaitais mettre la main sur cet atrabilaire belliqueux avant que ses ouailles ne le retrouvent. Je remontai en hâte pour m’emparer de mon arme puis me rendis aux écuries et sellai diligemment Amiral que je lançai en plein galop sur le chemin méandreux en direction de la forêt de Mercoire. Je ne savais où me rendre exactement, le périmètre était vaste et mes deux domaines de prédilection, le château de Malronce et celui de Belfont étaient situés à l’opposé l’un de l’autre.

Pendant que j’arpentais ces champs fangeux où les brebis et les vaches broutaient en toute sérénité, je faisais défiler en mon esprit diverses théories, en quête d’un indice qui m’aurait échappé.

Mon entrevue avec le professeur Leroux ainsi que l’histoire du funeste comte et de son fantôme me revinrent en mémoire. Le père Rochefort était le cinquième et avant-dernier notable vivant responsable de sa mort. J’écarquillai les yeux, j’avais une piste. Rageusement, je tirai sur la bride et fis bifurquer ma monture que j’éperonnai pour gagner le château de Malronce au plus vite. Lancé en pleine charge et la bave aux lèvres, le cheval éructait.

Arrivé aux abords du domaine, je ralentis mon destrier et mis pied à terre. J’attachai les rênes au tronc d’un arbuste érigé dans un coin isolé, au milieu des broussailles. Mon arquebuse en main, je me frayais un chemin à travers les fourrés, avançant le plus discrètement possible pour ne pas trahir ma présence. J’effleurais le sol et prenais garde à ne pas faire craquer les brindilles qui se trouvaient sous mes semelles. J’enjambai le muret en pierre effrité qui, jadis, servait d’enceinte et me glissai de l’autre côté.

À mesure de mon avancée, mes oreilles commencèrent à discerner des bruits qui se muèrent rapidement en des paroles indistinctes. Quand mes yeux perçurent enfin deux silhouettes, je me recroquevillai puis m’immobilisai entre un tronc et un enchevêtrement de ronces. Tapi dans l’ombre de ces remparts naturels, je me mis à étudier la situation.

Devant les escaliers du domaine, proche de la stèle, le prêtre se trouvait assis, les bras enchaînés à la rambarde. Un bâillon entravait sa bouche. Au vu de l’état de sa soutane, nul doute qu’il se trouvait là depuis des heures, possiblement la veille au soir. Il était bien moins impressionnant qu’il pouvait l’être à son office avec ce visage tuméfié, barbouillé de sang, et son habit crotté.

À ses côtés, un homme en costume cardinal était assis sur les marches. Son fusil en main, il observait les environs et parlait à son captif d’un ton péremptoire. Je fronçai les sourcils et grognai en reconnaissant d’Orneval. J’avais toujours su qu’il fallait que je me méfie de ce dragon. Or, son comportement était étrange, puisqu’il ne semblait pas enclin à tuer le père qui gesticulait telle une anguille hors de l’eau dans le vain espoir de se libérer de ses chaînes.

J’eus un rictus en comprenant qu’il se servait de sa victime comme d’un appât. En agissant ainsi, il condamnerait cet homme et tuerait le monstre pour la même occasion. Une excellente stratégie mais pourquoi, diantre, vouloir venger la mort du comte de Malronce ?

Entre Chien et LoupOù les histoires vivent. Découvrez maintenant