Epilogue

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Un cri strident retentit, brisant le silence de plomb qui régnait jusqu’alors. Déboussolé, je me levai en sursaut et me rendis auprès du berceau où l’enfant secoué de sanglots s’agitait. D’une main fébrile, peu habitué à ces gestes si tendres, je caressai le ventre de ma fille et fredonnai une mélopée. Ce massage improvisé eut le don de la rassurer et je la vis refermer ses petits yeux mouillés de larmes que le halo de la lune, perçant à travers les persiennes, illuminait de ses nitescences opalines.

À présent éveillé, je m’accoudai à la rambarde et admirai cet être frêle âgé d’à peine quatre mois, le corps emmailloté sous un amas de couvertures et protégé par un coussin duveteux ainsi que par une peluche en forme de phoque. Le bleu de la nuit teintait ses rares cheveux châtains et sa face joufflue. Elle se rendormit. Sa cage thoracique se soulevait à chaque inspiration et ses narines frémissaient.

Après l’avoir contemplée avec amour, je me rendis à mon lit et me glissai sous les draps. Le lieu était atrocement silencieux à cette heure où presque tout Paris dormait. Ce calme sacral m’angoissait car il faisait resurgir en mon esprit ces innombrables cauchemars qui ne cessaient de me tourmenter depuis l’an dernier.

Cette expérience en Gévaudan m’avait traumatisé. En plus d’avoir été malmené, j’avais été perfidement épié et manipulé. Au point que dorénavant, le doute m’habitait en permanence quant à la sincérité et aux intentions des autres. Mes certitudes avaient été ébranlées, mon estime broyée, mon corps violé, ma vie volée.

Pour contrarier ces pensées néfastes, je me noyais dans un travail acharné, n’ayant pas la force d’affronter mes démons internes. Je dormais peu, mangeais mal et quand je ne passais du temps à écrire, je m’occupais de ma charmante Adélaïde.

Je m’étais finalement décidé à la garder, ne possédant plus la force nécessaire pour endurer une seconde période de supplice. En l’acceptant, j’avais fait un trait sur une éventuelle vie conjugale. Après tout, aucun homme ne voudrait s’embarrasser d’un enfant et celui pour qui j’éprouvais un indicible désir n’était pas enclin à se poser ou à fonder une famille.

Car Valmont était un libertin, un amant libre aussi sauvage que les loups qu’il chassait. Pourtant, son absence m’était insupportable tant j’éprouvais pour cet homme une ferveur que je n’avais jamais ressenti jusqu’alors.

En lui décrivant fidèlement mes symptômes, ma mère était formelle en m’assurant qu’il s’agissait là d’amour. Je souffrais de cette situation, je me sentais seul et emprisonné de mes sentiments.

Ma grossesse avait été laborieuse pour ne pas dire chaotique. J’avais essuyé tous les effets négatifs possibles ; vomissements, vertiges, brûlures d’estomac, nausée, fatigue et essoufflements excessifs. Sans parler des marques épidermiques avec ces poussées de boutons ou encore mes sautes d’humeur récurrentes qui me faisaient passer du rire aux larmes en une poignée de secondes.

L’accouchement avait été tout autant douloureux, j’avais le ventre si tendu que la sage-femme décida de provoquer ma délivrance plus d’un mois avant le terme. J’avais passé des heures durant allongé dans mon lit à hurler, l’organisme traversé de spasmes foudroyants pour l’expulser.

De ce fait, mon apparence avait également fortement changé. J’avais quitté les traits d’Adonis pour me rapprocher de ceux de Vénus. La maternité avait rendu mon visage plus mafflu, la peau de mon ventre s’était légèrement distendue, mes hanches s’étaient élargies et ma poitrine d’ordinaire plate, s’était momentanément gonflée de lait. Cette métamorphose éphémère m’avait désarçonné tant j’avais l’impression de vivre dans un corps étranger.

Or, à mesure que les semaines passaient, j’avais fini par m’y habituer quelque peu. Je nourrissais ma fille de mon sein et prenais un réel plaisir à exercer cette tâche. Je voyais sa petite bouche en cœur suçoter ma tétine, les paupières mi-closes, savourant ce moment de complicité intime.

Entre Chien et LoupOù les histoires vivent. Découvrez maintenant