Le collier de l'infamie

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Ma remarque fit mouche et Charles se renfrogna. Sans un mot, il s’enfonça contre le dossier et me toisa d’un œil mauvais. J’aimais faire preuve de cynisme à son égard.

J’avais toujours été un tantinet sardonique et ne pouvais m’empêcher de délier ma langue pour laisser libre cours à de telles moqueries. Surtout que le bellâtre se révélait bien loin des préjugés que j’avais éprouvés à son égard jusqu’alors. Il avait une certaine finesse dans l’analyse, faisait preuve de curiosité ainsi que d’une ouverture d’esprit. Et malgré sa chétive constitution, il osait affronter des dangers qui pourraient lui nuire par souci d’éthique et d’empathie, de bien belles qualités que je ne pouvais que saluer.

De plus, il m’avait rassuré quant à ses conclusions. Lui comme moi trouvions cette histoire de Mal-Bête bien trop étrange pour être désignée comme l’attaque d’un vulgaire loup. Cependant, je me demandais s’il venait de son propre chef ou si le marquis de Flandreuil s’était servi de sa volonté pour l’envoyer dans cette expédition et se débarrasser de lui sans être soupçonné. Cette question me démangeait mais je ne pouvais la poser présentement sans que cela paraisse suspect.

Nous n’échangeâmes pas un mot le reste du trajet. Quelque peu courroucé par ma pique, monsieur portait son attention sur le paysage. Quand il fut las d’observer cette nature monotone, il ôta ses besicles et finit par s’endormir. J’eus alors tout le loisir de pouvoir le dévisager. Les yeux clos et les traits détendus, il paraissait bien plus jeune qu’avec ce visage froissé. Une mèche de ses cheveux venait titiller sa joue, lui conférant un charme désinvolte si délicieux. Tout comme ses narines qui frémissaient à chaque respiration ou encore le subtil soubresaut de ses lèvres.

Bien que ses habits soient de bonne facture, ils n’en demeuraient pas moins relativement usés et raccommodés par endroits. Sa chemise écrue voyait un de ses boutons de manchette manquer à l’appel et les fils brodés de son veston céruléen s’effilochaient. On pouvait discerner des taches d’encre qui, malgré le lavage, demeuraient aux extrémités, imprimées dans les fibres du tissu. En revanche, la broche épinglée sur son veston étincelait d’un bel éclat doré rehaussé de pigments roux.

En me concentrant, je vis qu’une caravelle y était finement ciselée. Sur la partie basse, cerclant le pourtour de la coque, était écrit : In memoriam terrae nostrae.

Aux alentours de dix-sept heures, après avoir fait des pauses régulières pour dégourdir nos membres raides et prendre une bouffée d’air frais, nous parvînmes à Fontainebleau. Notre auberge se situait dans l’enceinte de la ville, non loin du célèbre château. En passant devant le domaine, le visage de Charles s’égaya.

La mine enfantine, il étudiait cette architecture Renaissance. Rythmée par des colonnettes, la façade en pierre blanche polie était percée de hautes fenêtres à croisillons et surplombée d’un toit couvert d’ardoise sur lequel chiens assis et cheminées saillaient. Un double escalier monumental donnait accès à cet édifice perdu dans un écrin de verdure à la française où nul brin d’herbe ne commettait l’affront de dépasser de ses congénères. Chaque arbuste était taillé au carré, agencé en parterres à motifs d’arabesques. Fontaines, statues équestres ou antiques émergeaient dans les allées, un héritage digne du jardinier Le Nôtre et une belle allégorie de la suprématie de l’homme sur la nature.

Dans l’enceinte, des hommes et des femmes vaguaient, déambulant dans les allées de leurs allures nobles, mélange d’arrogance et de désinvolture. Une armada de domestiques les suivait docilement, à l’affût, affichant un visage impassible d’automate articulé. Leurs apparats hauts en couleur se marquaient nettement dans ce paysage en camaïeu de vert et d’ivoire.

Des vêtements à donner le tournis avec ces chapeaux chamarrés de plumes et rubans, ces robes en vertugadin ou vestons bardés d’ornements dont les broderies scintillaient à la lumière, le tout rehaussé de parures incrustées de pierres précieuses. Tels des oiseaux tropicaux dans une jungle, les femmes jacassaient et secouaient leur plumage. Leur timbre aigu et le froufroutement de leurs étoffes résonnaient à travers le domaine.

Entre Chien et LoupOù les histoires vivent. Découvrez maintenant