L'apparition

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Une semaine venait de s’écouler. Depuis notre échange, je sentais un changement notable dans le comportement du louvetier. Non pas qu’il se résolut à se départir de son cynisme ou de ses manières cavalières, mais force était d’avouer que de connaître mes origines l’avait soulagé. Et tout bon limier qu’il était, monsieur me harcelait de temps à autre de questions à mon sujet. Je lui répondais de bonne grâce, n’ayant dorénavant ni la volonté ni la pudeur de garder pour moi certains pans de mon passé.

Ainsi je lui parlais de ma jeunesse, de mes études et de la relation que j’entretenais avec mon géniteur. Rien de fort épique, j’en convenais, mais Valmont semblait apprécier que je me livre sans entrave, et ce malgré la trivialité de mon histoire. Bien évidemment, cette banalité était relative car un bâtard issu d’une éminence et né omégalensis de surcroît, peu pouvaient se targuer d’aligner de tels paramètres.

En dehors de ces conversations légères racontées le soir venu lors du souper, nous faisions preuve de sérieux et parlions de sujets bien plus sombres. Car la seconde brebis avait succombé aux attaques de la Mal-Bête, retrouvée morte dans un état similaire à celui du garçon dont l’identité venait d’être dévoilée malgré la difformité de ce visage délesté de chair.

À notre grande stupéfaction, l’enfant habitait ici même, à Fonternoy. Comment avait-il pu se retrouver si loin de chez lui ? S’était-il rendu dans la forêt de son plein gré ou bien son ravisseur l’avait-il conduit là-bas ? Si tel était le cas, des gens auraient forcément dû percevoir quelque fait troublant.

Pantois face à cette annonce, nous étions allés interroger la famille. Je fus terriblement gêné lors de cette entrevue, au beau milieu de ces gens endeuillés qui tentaient de nous parler, le discours entrecoupé de larmes et sanglots. Sans que nous ayons eu à poser la question, nous avions appris qu’ils étaient dualensis, l’un de leurs ancêtres ayant été un oméga avéré.

Était-il alpha ou bien sans phénotype ? Le légiste Mancenillier ne put nous apporter de réponse lors de la dissection puisque le cadavre était dépourvu de nez. Il lui était impossible avec ses maigres moyens de pousser des analyses plus approfondies sur les parois nasales pour y déceler la présence de récepteurs.

Ce mystère nous démoralisa davantage, en particulier d’Orneval dont la popularité au sein de son régiment vacillait cruellement ; il s’agissait du douzième meurtre orchestré alors que la région était sous sa protection. Ses supérieurs ne cessaient de le harceler pour que ce dernier retourne à la caserne en compagnie de ses derniers soldats. Opiniâtre, il s’obstinait à demeurer céans et s’opposait à leurs injonctions.

— Ils sont à deux doigts de me renvoyer, nous avait-il confié, si dans un mois l’affaire n’est pas réglée ou qu’un autre meurtre survient, je vais en prendre pour mon grade. Mais je ne trouverai pas le repos tant que ces meurtriers ne seront pas mis sous fer et exécutés. Mon honneur et ma vertu sont bien plus importants que ma place d’officier.

Sa témérité était louable d’autant qu’il était désormais l’un des trois membres de son escouade encore présents, la plupart de ses subalternes ne pouvant se permettre d’objecter les ordres d’un général de peur de sérieuses représailles. Ces vicissitudes le firent se rapprocher de notre binôme. À mon grand soulagement, le louvetier était bien moins froid en sa présence que par le passé et faisait preuve de retenue.

Cette semaine riche en péripéties enfin terminée, je passais un dimanche des plus tranquilles à me reposer dans mes quartiers afin de récupérer un soupçon d’énergie et entamer la semaine suivante dans les meilleures conditions.

Comme à mon habitude, j’inscrivais scrupuleusement les informations portées à mes oreilles et envoyais des missives hebdomadaires à mes supérieurs. Je n’avais reçu jusqu’alors aucune lettre de mon père. Monsieur ne devait pas juger nécessaire d’exiger des rapports plus approfondis que ceux que je lui offrais.

Entre Chien et LoupOù les histoires vivent. Découvrez maintenant