Confidence pour confidence

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Seul dans ma chambre, je griffonnais les péripéties de cette matinée riche en informations. J’étais las et voyais trouble à travers mes besicles tout juste nettoyées pour en ôter la poussière incrustée sur le verre. La fatigue amollissait mon être au point que je doive maintenir ma tête appuyée contre mon poing pour écrire du mieux possible, la main encore engourdie par mes chevauchées. Fort heureusement, hormis quelques cloques provoquées par les rênes et mes bottes, je n’avais aucune engelure sur le bout de mes doigts ou de mes orteils.

Avant d’aller souper, j’accompagnai le louvetier lors de sa ronde au sein du village. Ni lui ni moi n’étions enclin à bavarder. Les seules paroles que nous échangeâmes concernaient davantage mademoiselle Chardon plutôt que le garçon assassiné plus tôt dans la journée.

Comme Valmont, j’en étais venu à la conclusion qu’elle devait provenir d’une famille noble ou, tout du moins, de grande bourgeoisie. Sa gestuelle, son parler, son savoir et sa prestance naturelle en témoignaient. Elle n’était pas dame à se laisser dominer, ne craignant ni l’Église ni de se confronter aux inconnus.

Or, il n’existait que très peu de femmes si bien éduquées faisant à ce point fi des bonnes mœurs. D’ordinaire, elles chérissaient la respectabilité et la convoitise, et les plus érudites finissaient par se marier pour des alliances diplomatiques. Là, mademoiselle vivait seule et semblait n’avoir cure de sa réputation, vivant dans le péché d’avoir fauté.

Sur ce dernier point, nous étions en désaccord. Là où je supposais qu’Héloïse devait avoir pour amant caché un riche dualensis, certainement marié et de bonne réputation, qui ne souhaitait pas que son bâtard soit reconnu aux yeux de tous. Valmont présumait à l’inverse que mademoiselle devait avoir essuyé les élans d’ardeur d’un homme contre son gré et que l’enfant était issu de ce crime. Peut-être par le marquis de Belfont lui-même au vu de la description qu’elle nous en avait rapporté.

En passant devant la mairie, nous aperçûmes le maire qui quittait son office. À sa vue, mes lèvres s’étirèrent en un rictus de dégoût. Le visage d’un rat et le port d’un rapace, j’éprouvais d’instinct une aversion pour ce genre de personnage. Non pas qu’il paraissait antipathique, mais le manque d’intelligence qui transpirait de ses yeux glauques me révulsait. De plus, il avait un regard fuyant, scrutait de gauche à droite comme un petit animal alerté, incapable de garder les yeux rivés sur ses interlocuteurs.  Compte tenu de sa fonction, monsieur ne dégageait aucune prestance et paraissait avoir été élu maire pour satisfaire la population ou jouir d’un train de vie favorable.

Après nous avoir salués, il s’enfuit à la hâte. Suite à son départ précipité, j’échangeai avec Valmont quelques remarques moqueuses à son attention. Hippolyte le baptisa du doux sobriquet de « Mouffette » en adéquation avec son nom de famille, monsieur Jules Moufet, et l’odeur soi-disant pénétrante de peur que dégageait sa peau.

À la fin de notre promenade, nous convînmes de nous rendre prochainement au château de Belfont et d’envisager une entrevue avec le marquis. Pour cela, le louvetier se proposa de lui écrire une missive afin que monsieur soit disposé à nous recevoir sous les meilleurs auspices. Les éminences de sa veine étaient de nature capricieuse, mieux valait les brosser dans le sens du poil pour espérer obtenir un avis favorable. Valmont n’aurait alors qu’à mettre en avant le sang bleu de sa mère qui lui accordait un atout non négligeable, d’autant qu’il était fortuné et fils de militaire de renom.

— Je n’aurais plus qu’à vanter mon attrait pour les spécimens animaliers rares et m’est avis qu’il daignera nous rencontrer au plus vite ! déclara-t-il avec un sourire malin.

J’étais ravi de cet événement. Mon humble protecteur m’avait ordonné de surveiller cet homme-là de très près. Ses agissements et ses fustigations contre le roi étaient une rumeur qui avait couru jusqu’à Versailles. De Flandreuil voyait ce marquis d’un mauvais œil et le soupçonnait de prendre part à ce complot. Car l’homme n’avait que très peu agi contre la Mal-Bête, se contentant d’effectuer quelques battues une fois l’an sans réel succès.

Entre Chien et LoupOù les histoires vivent. Découvrez maintenant