Le loup et l'agneau

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Alors que le soleil commençait à franchir la ligne d’horizon, plongeant le paysage dans une clarté sanguine, les villageois se réunirent sur la place de la mairie. La plupart revêtaient leur costume traditionnel tandis que d’autres, plus provocants, portaient une panoplie de loup par-dessus leurs vêtements. Pelages gris et cendrés parfois tranchés de noir, ils étaient nettement percevables parmi la foule diaprée avec leurs oreilles dressées, leur long museau pointu et leur imposante queue qui ballottait à chacun de leurs pas. D’autres, plus discrets, arboraient un sigle religieux au niveau de la poitrine.

D’une voix mielleuse et mal assurée, Mouffette entonna son discours qui fut laborieux à écouter tant son timbre était soporifique. Comme je m’y attendais, le maire évita de mentionner tout meurtre, préférant glorifier le patrimoine régional et faire le bilan des récoltes.

Il y avait du monde devant l’hôtel de ville, les habitants des villages alentour ainsi que les vendeurs et autres artistes itinérants s’étaient déplacés jusqu’ici, même des familles entières avec parfois de très jeunes enfants. La population avait triplé, folle serait la bête de venir rôder céans au vu du chahut ambiant.

Selon les rumeurs, la fête se prolongerait jusqu’aux premiers rayons de l’aurore afin que tout un chacun puisse regagner son logis ou ses terres sans encombre. Si l’on faisait fi de la menace de la Mal-Bête, les fêtes de villages étaient réputées pour apporter leurs lots de troubles.

Nombreuses étaient les altercations liées à l’alcool, les désaccords entre rivaux engendraient souvent des rixes qui se terminaient en meurtre. L’ivresse rendait également les femmes vulnérables et soumises à la merci de tout homme pernicieux qui abusait de leur faiblesse. Certaines finissaient enceintes, obligées dans de rares cas à épouser leur bourreau pour les bonnes mœurs religieuses et éviter la disgrâce familiale. Le sort de leur vie était ainsi scellé par ce cruel événement.

La lumière du jour faiblissait, le crépuscule mourait pour laisser place à un ciel outremer moucheté des premières étoiles et d’un croissant de lune opalin. Parmi la foule, dressé sur le pont à l’entrée du village, j’aperçus Valmont. Arquebuse en main, ce dernier observait la campagne tranquille, prompt à réagir si la Mal-Bête venait à sévir lors des festivités. Sa vue me donna un pincement au cœur. Voilà une semaine que j’évitai de le côtoyer au point que nous allions jusqu’à manger séparément. Depuis notre conversation houleuse, nous n’avions guère parlé sauf pour échanger des banalités.

J’avais mis ce temps à profit pour rédiger mes rapports et relater les actions de la bête. J’avais également griffonné des notes concernant les recherches sur la glande menées par Leroux puis esquissé une liste des suspects potentiels. J’avais même été jusqu’à rencontrer la famille du défunt maire et de la sage-femme.

Je n’avais pas été des mieux reçus mais au moins avaient-ils eu la bonté d’entretenir le dialogue et de répondre à mes questions. Pour eux, point de bête, les crimes étaient l’œuvre d’un sadique humain. Je n’avais rien remarqué de suspect, rien appris qui pouvait les désigner comme dualensis et n’avais pu leur poser cette question de peur d’être chassé comme un malpropre.

Par ailleurs, cet isolement me fit le plus grand bien car j’avais ma peine à déverser et ne souhaitais nullement trahir mon émoi en public. En effet, les révélations du professeur au sujet de mon genre sexuel avaient été un choc difficile à encaisser. Je m’étais toujours considéré comme un homme, qu’importe la présence de cet organe féminin situé entre ma verge et mon anus. Je voyais davantage ce sexe comme un ajout à ma masculinité et n’avais donc jamais pris en compte que je puisse axer une partie de ma personnalité sur cet organe que ma famille, et par conséquent moi-même, jugions de secondaire.

Entre Chien et LoupOù les histoires vivent. Découvrez maintenant