Chapitre 3 - Cinquante nuances de marbres

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Versailles, 10 mai 1685

La voiture dépassa l'immense grille dorée qui séparait la Cour Royale de la place d'Armes. Victoire colla son visage à la vitre pour mieux contempler le palais royal en forme de U. Il ne restait pas grand-chose du petit pavillon de chasse construit par Louis XIII en 1624 en pleine campagne. Son fils avait voulu, dès sa prise de pouvoir en 1661, un palais à la grandeur de sa puissance et de sa renommée, un lieu où il pourrait avoir toute la cour à ses pieds, encadrée par la plus rigide des étiquettes.

Assèchements, constructions, démolitions, reconstructions, aménagements, modifications, agrandissements, décorations étaient devenus le quotidien des ouvriers mais également celui des courtisans qui avaient emménagé au château trois ans auparavant. Le tout était en perpétuelle transformation car le roi changeait fréquemment d'avis, ce qui suspendait sur l'heure toute activité.

A travers les échafaudages où des centaines d'ouvriers s'activaient, Victoire, émerveillée, distingua la façade de briques roses, les bustes antiques placés sur des consoles entre les fenêtres, les balcons de ferronnerie dorée prenant appui sur des colonnes de marbre rose et, sur les toits coiffés d'ardoises, les larges lucarnes recouvertes de feuilles d'or. La cour intérieure, surélevée de quelques marches pour éviter l'approche des carrosses, était pavée de damiers blancs et noirs. Louis XIV avait transplanté son échiquier politique en pleine campagne marécageuse.

Le visage d'Alexandrine se rembrunit : les odeurs de peintures fraîches lui donnaient la nausée et la poussière du chantier allait gâter sa nouvelle robe.

La voiture s'arrêta devant l'aile du Midi au milieu des grands nobles, petites gens, clercs et bourgeois venus demander une audience au roi. Victoire en sortit, après qu'un valet eut abaissé le marchepied, et mit sa main en visière pour éviter d'être éblouie par le soleil trop éclatant de ce mois de mai.

- Victoire, mais où donc est votre masque ? Vous allez gâter votre teint et devenir aussi rouge qu'une paysanne !

La jeune fille se tourna vers la belle marquise qui lui avait adressé ces derniers mots d'accueil.

- Ma tante, lui dit pompeusement Victoire en forçant le ton. Je vous souhaite le bonjour. Qu'il me fait plaisir de vous voir en si bonne forme. On vous disait souffrante ces dernières semaines, mais vous voici aussi fraîche qu'une rose au matin.

- Ma nièce, que je suis bien aise de vous voir, répondit Mme de Franceville en lui prenant les mains. Vous avez bien changée. Ainsi ma sœur aura réussi à faire de vous une vraie demoiselle.

Alexandrine ne fut pas en reste et reçut davantage de compliments que Victoire en eut à sa faveur.

- Vous arrivez à l'heure pour être présentées à la Dauphine et à Madame mais nous n'avons point assez de temps pour les bavardages. Pressons.

Leur tante les fit entrer dans un vestibule dallé de marbre polychrome et les dirigea ensuite vers un salon magnifiquement décoré mais qui ne profitait à personne lorsqu'elles y entrèrent.

- Victoire, veuillez patienter ici, et surtout ne bougez pas, le temps que j'accompagne votre sœur aux appartements de la Dauphine.

Le salon fut bientôt habité par la jeune fille seule. Les mains soigneusement croisées sur le ventre, elle laissa son regard parcourir la pièce. Les murs étaient tendus de soie verte, les rideaux découpés dans du brocart de la même couleur et retenus au mur par des embrasses torsadées encadraient deux grandes fenêtres. Deux consoles d'acajou surmontées de plaques de marbre et agrémentées de poignets dorés, étaient disposées en symétrie. Victoire fut attirée par une horloge dorée dont le cadran était figé dans la roue d'un carrosse en bronze plaqué or. Les aiguilles indiquaient 10h 15. Aux murs, les tableaux offraient aux spectateurs des décors champêtres et paisibles.

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