Chapitre 4 - Voir et être vu

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Le soir, les « Appartements » animaient Versailles. Ces soirées, organisées par le roi pour divertir ses courtisans, se déroulaient dans les Grands Appartements, une enfilade de salons consacrés aux divinités de l'Olympe, également patronymes des planètes qui gravitaient autour du Soleil. Dans les pièces recouvertes de marbres, de peintures et de moulures dorées, on pouvait y jouer du billard, disputer des parties de cartes, se restaurer ou encore danser. De magnifiques lustres garnis de pampilles en cristal illuminaient les dorures des pièces comme en plein jour, créant ainsi un éblouissant jeu de lumière.

Toute la cour y participait, tant pour bien se faire voir du roi que pour y s'amuser car les soirées d'Appartement étaient exceptionnelles. « Voir et être vu », telle était la devise.

Avant de rejoindre les Grands Appartements et de se fondre dans la foule enrubannée, Marguerite prit soin d'instruire Victoire et Louise sur l'art du maquillage. Elle leur expliqua qu'outre les rubans de satin et les dentelles, les courtisans raffolaient du blanc de céruse avec lequel ils se recouvraient aussi bien le visage que le cou et les oreilles. Ce pigment masquait toute imperfection de la peau et dans le même temps toute expression. Figé, le visage devenait une façade uniforme, ne véhiculant aucun sentiment, et les médisances se reflétaient alors dans les regards. Par dessus le blanc de céruse et sur les lèvres, les femmes comme les hommes avaient pour habitude d'appliquer du fard rouge. Puis, à l'aide d'un crayon bleu, ils retraçaient les veines des tempes afin que chacun admirât la qualité du sang. Enfin, pour accentuer le contraste, des mouches étaient disposées selon un code bien précis transmettant un message significatif. Ainsi, « la passionnée » se situait près de l'œil, « la discrète » sur le menton, « la majestueuse » sur le front, ou encore « l'enjouée » sur la pommette.

- Ce maquillage est très prisé dès lors qu'il permet de paraître et non d'être, conclut Marguerite en entraînant Victoire et Louise dans l'enfilade de salons remplis de courtisans dont les habits rivalisaient d'élégance et de richesse.

Perruque poudrée et chapeau à plumes, jabot et manches en dentelle, pourpoint et bas de soie, souliers à boucles et talons rouges étaient de rigueur pour les hommes. Cheveux frisés et fioritures piqués, diamants et perles aux oreilles, rubans et gants de soie, robe damassée et souliers brodés pour ces dames.

Mais pour briller à la cour, Louis XIV avait défini de nouveaux critères : il fallait avoir de l'esprit et le mot juste. Une langue de vipère rimait souvent avec « bon retour sur vos terres ».

Dans le salon de Vénus, une statue de la déesse de l'Amour, trônant dans une alcôve, veillait sur les collations. Le buffet, décoré d'immenses bouquets de fleurs, était rempli de pâtisseries et de viandes, de carafes de thé, de citronnade et même de boissons exotiques telles que le café ou le chocolat. Des valets, en livrées multicolores et perruques poudrées, passaient élégamment dans les salons, un plateau d'argent à la main, proposant rafraîchissements et encas aux courtisans.

Dans le salon de Mars, la musique était magnifique, vive et entraînante. Plusieurs couples glissaient en cadence sur le parquet ciré. Les robes multicolores des marquises et duchesses virevoltaient lorsque leur cavalier les faisait tournoyer.

Tout cela se passait sous l'œil attentif de Sa Majesté Louis XIV, roi de France et de Navarre. Celui-ci, assis sur son trône dans le salon d'Apollon, battait le rythme avec sa canne incrustée de pierres précieuses. Mme de Maintenon était debout à ses côtés, lui chuchotant de temps à autres quelques messes basses, qui ne devaient avoir pour sujet que les attitudes des courtisans. Mais dans son dos les rumeurs circulaient également : elle serait l'épouse secrète du roi.

Dans l'ombre du SoleilOù les histoires vivent. Découvrez maintenant