18 mai 1685
Le lendemain, lorsque le porteur d'eau leur apporta sa matière première, Victoire remarqua une atmosphère inhabituelle dans les couloirs. Les valets et femmes de chambre étaient en proie à une agitation maladive. L'accès aux escaliers semblait restreint et les vieilles duchesses s'insurgeaient que l'on traitât ainsi les grands de France. On se battait à coup de quartiers de noblesse pour savoir qui passerait en premier.
- J'en ai seize, tonna une duchesse en brandissant son éventail, et un arbre généalogique qui remonte jusqu'aux croisades !
- Moi, madame, mon arrière-grand-père était ministre ! répliqua sa voisine, son ombrelle levée comme une épée.
- Je ne m'étonnerai point alors d'apprendre que votre aïeul soit le responsable des tracas dont la France est victime aujourd'hui !
- Que nenni, madame ! Il était ministre des Affaires. Il était au plus près du roi !
- Et il a trouvé son titre dans la chaise percée de Sa Majesté peut-être ?
- Pimpesouée !
- Décrotteuse ! Laissez-moi passer !
Victoire laissa les deux vieilles duchesses se quereller et accosta une soubrette pour connaître l'origine d'une telle agitation.
- Le trésor royal, mademoiselle ! s'exclama-t-elle. Tout a disparu ! Les caisses sont vides !
La femme de chambre s'échappa en retroussant ses jupons. Un mouvement de foule força Victoire à refermer la porte de sa chambre.
- Bonté divine ! C'est l'apocalypse au dehors !
Victoire tira Louise du lit et ensemble elles s'apprêtèrent rapidement. Mieux valait qu'elles soient aux côtés de Madame en cet instant de crise pour lui témoigner leur dévotion en toute épreuve.
Au moment où elles sortirent de leur chambre, elles furent happées par la foule enrubannées et amassée dans les couloirs. Toute la cour était en émoi. Les lèvres rouges des courtisans s'agitaient et leurs yeux lançaient des menaces de suspicion. Alors qu'elles se dirigeaient vers les appartements de Madame, Victoire et Louise tendirent l'oreille et surprirent quelques brides de conservation. Le trésor royal n'avait été en réalité qu'amputé d'une parure de rubis. La nouvelle du vol s'était répandue comme une trainée de poudre, provoquant çà et là quelques explosions. La parure dérobée s'était transformée en un coffre-fort subtilisé puis en caisses de l'État que l'on avait éventrées.
Le souci majeur résidait dans le fait que ce bijou fût de la propriété de feu la reine Marie-Thérèse.
- Il ne vaut pas moins de 300 000 livres !
- Pauvre reine, même après sa mort elle n'est guère respectée.
- Il m'a semblé voir le marquis de Breuillet pas très à l'aise quand il a su le vol de la parure...
- J'opterais plutôt pour un domestique comme voleur...
Le valet qui gardait le placard où étaient entreposés les bijoux royaux avait retrouvé l'écrin vide le matin-même. Désemparé, il balbutiait qu'il n'y était pour rien dans cette disparition. Il fut remercié.
Le roi ne savait que faire pour calmer les rumeurs sur le vol. Il organisa une réunion des plus urgentes dans le salon de Mars. Monsieur de La Reynie, lieutenant général de la Police de Paris, et le marquis de Sourches, Grand Prévôt de France, qui assurait la sûreté de la cour de Versailles, étaient présents. Près du roi se tenait, loyal et habile, Louis Blouin, premier valet et gouverneur du château durant le quartier de printemps. Précautionneux, il était les yeux et les oreilles du roi dans les salons et les couloirs, il lui rapportait, matins et soirs, les commérages et les bruits qui avaient réjoui ou détruit un courtisan durant la journée. Aux pieds et à la barbe du marquis de Sourches, il disposait de ses propres agents, valets, gardes ou espions, qui patrouillaient incognito dans le palais, nuits et jours.
Louis Blouin scrutait l'assemblée silencieuse de son regard perçant, examinant, comme un chirurgien, la constitution nerveuse des courtisans présents dans la pièce.
Madame, assise dans un fauteuil, entourée de ses dames et ses demoiselles, s'empiffrait de pâtisseries et de sucreries depuis le matin afin d'oublier l'affront fait à sa défunte amie. Monsieur, maquillé et habillé avec coquetterie comme à son habitude, se tenait aux côtés de Monseigneur le Grand Dauphin, imposant sur ses courtes jambes. Ce dernier était présent pour apprendre son métier, son oncle car il était question de bijoux malmenés. La Dauphine n'avait pas fait le déplacement, évitant aux autres le spectacle de sa laideur et de sa tristesse. Mme de Montespan et sa suivante étaient toutes deux apprêtées comme pour une grande occasion – cet événement rappelait à l'ancienne favorite, comme un délicieux souvenir trop de fois goûté, l'absence de pouvoir de la défunte reine sur la cour.
Grâce aux nouveaux ordres du roi, l'impudent serait bientôt pris et pendu haut et court. Les meilleurs moyens pour y parvenir avaient été déployés, il s'agissait d'inspecter, de fouiller, de dépecer tout ce qui passait par les portes des villes. On ne volait pas impunément dans le château de Versailles, même si l'objet du délit ne profitait à personne. Le roi n'avait pas voulu offrir le bijou à la Dauphine, il ne lui aurait pas sis et aurait perdu de son éclat.
Soudain, alors que l'assemblée se dispersait et quittait le salon, Marguerite saisit le poignet de Victoire, qui attrapa Louise au passage, et s'écria en fendant la foule :
- Pourquoi n'y avons-nous pas pensé plus tôt !
- Plaît-il ?
Victoire n'eut pas à attendre longtemps. La réponse se trouva bientôt devant elle.
- Excusez-moi de vous déranger, Monsieur Blouin, commença Marguerite.
Victoire comprit enfin où son amie voulait en venir.
- Oui, mademoiselle ?
Marguerite exposa rapidement la situation.
- Ah oui, répondit le premier valet dans un soupir, j'ai en effet entendu parler de cette affaire d'empoisonnement. Mais je ne peux malheureusement pas vous aider pour l'instant, le vol du collier royal passe en priorité. Je suppose que vous comprenez.
Les trois amies firent une moue de résignation.
- Mais heureusement pour vous, je dispose de plusieurs dizaines d'agents. Je peux confier l'enquête à l'un d'eux. La Trémouillère ! Euh non, celui-là a des manières trop peu catholiques. Crozent ! Revenez ici, mon brave, lança-t-il à un homme qui s'apprêtait à passer le seuil de la pièce. C'est un fin observateur, très bon escrimeur – La Reynie et Sourches ont déjà tenté de me le prendre à plusieurs reprises – il vous trouvera l'empoisonneur en peu de temps. Monsieur, dit-il à l'adresse du nouveau venu, une nouvelle enquête pour vous, puisse-t-elle ne pas connaître le même sort que la précédente : achevez-la-moi ! Mesdemoiselles, ajouta-t-il en saluant.
Victoire tourna alors son regard vers le jeune homme avec un sourire qui se fana aussitôt. L'argousin qu'elle avait rencontré au mariage de sa sœur se tenait devant elle, sourire timide aux lèvres.
Brun, grand avec une bonne carrure, il avait fière allure à la lumière du jour. Il devait avoir une vingtaine d'années et dégageait une sérénité sans faille. Victoire croisa un instant son regard vert.
- Chevalier de Crozent pour vous servir.
- Je ne vois pas votre fidèle destrier, ne put s'empêcher de dire Marguerite.
- Et moi, je ne vois pas votre retenue, répartit le jeune homme.
Il porta ensuite son regard sur Victoire.
- Votre visage ne m'est pas inconnu, remarqua-t-il en plissant des yeux. Nous nous sommes déjà rencontrés, n'est-ce pas ?
- Vous vous méprenez, dit-elle en esquissant un faux sourire. Je ne vous connais pas, ajouta-t-elle avec aplomb.
- J'oublie rarement les visages que je rencontre, si vous voyez ce que je veux dire.
Elle soutient son regard tout en serrant les dents et rétorqua du tact au tact :
- Eh bien moi, monsieur, j'oublie rapidement les impertinents !
Et elle le planta là.
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Dans l'ombre du Soleil
Historical Fiction1685, Versailles. Louis XIV, le Roi-Soleil, illumine la cour. Mais dans son ombre bien des choses se trament : complots, meurtres, vols... C'est ainsi que Victoire de Cazuret, dix-sept ans et nouvelle demoiselle d'honneur de Madame, fait son entrée...