16 mai 1685
Ce jour-là, lors du lever de Madame, l'absence d'Antoinette ne put être que constatée. Elisabeth, avec qui elle partageait sa chambre, assurait qu'elle était clouée au lit par un violent mal de ventre.
- C'est fâcheux, dit Louise. Une semaine qu'elle est ici et la voilà déjà indisposée !
Le rythme de vie à Versailles exigeait une constitution solide afin que le noble corps puisse encaisser sans faiblir les fastes et les frivolités des fêtes qui faisaient le quotidien des courtisans.
Madame, qui comptait la compassion parmi ses qualités, s'en alla quérir des nouvelles de sa demoiselle d'honneur. Allongée sur son lit, la malade gesticulait dans tous les sens en gémissant. Sa peau était d'un vert translucide, de la sueur perlait à son front.
Elle se tourna vers sa première dame :
- Allez quérir La Quintinie et qu'il apporte sa réserve de contrepoisons.
Puis vers ses demoiselles d'honneur qui étaient encore en état de converser :
- Mes petites, si vous voulez survivre à Versailles, ne vous faites jamais soigner par un médecin. Dieu m'en est témoin, c'est la pire engeance que la Terre n'ait jamais portée. Ils ne prescrivent que deux remèdes, les purgations et les saignées, dans les deux cas on a peu de chance de survivre.
Elle se tut un instant, pensive, en regardant Antoinette avec émotion.
- Ils ont tué mon fils, mon petit enfant adoré, il n'avait que trois ans.
La princesse prit un linge, le trempa dans la vasque remplie d'eau posée sur le meuble de toilette et entreprit d'éponger le front d'Antoinette d'une main maternelle.
- Molière se moque si bien d'eux... Vous avez lu les comédies de Molière, n'est-ce pas ?
Victoire fit un signe négatif de la tête. Les pièces de théâtre qui se gaussaient de la noblesse et du clergé n'avaient pas trouvé grâce aux yeux de Mme de Cazuret qui s'était assurée que sa progéniture n'étudiât que les Saintes Écritures.
- Pas même Montaigne ? Ni Ésope ? Épicure peut-être ?
Il fallait de toute urgence remédier à cette éducation lacunaire.
- Vous trouverez leurs œuvres dans ma bibliothèque, derrière les livres de prières et l'anthologie des saints.
Si Mme de Cazuret apprenait que Madame poussait sa fille – fut-elle la moins aimée – dans l'antre du diable, elle en aurait eu des vapeurs.
Madame reprit son discours sur les médecins.
- ... des gueux de la pire espèce. Alors que les grands hommes comme les botanistes, avec leurs plantes, vous soignent en deux temps trois mouvements.
Sur ces derniers mots, arriva l'agronome La Quintinie. Jadis au service du Surintendant des Finances, Nicolas Fouquet, en son château de Vaux, il était passé au service du roi suite à la disgrâce de son protecteur et son arrestation par le mousquetaire d'Artagnan en 1671. Louis XIV, trop ébloui par la magnificence de Vaux, avait décidé le jour de son anniversaire de loger étroitement son ministre et de s'offrir les talents de ses artistes, le peintre Le Brun, l'architecte Le Vau, le jardinier Le Nôtre et l'agronome La Quintinie.
Devant la princesse et ses demoiselles, ce dernier administra à la malade une mixture de plantes lui permettant de recouvrer sa santé.
Quittant la chambre, Victoire, Marguerite, Elisabeth et Louise se perdirent en conjecture. L'empoisonnement était-il ciblé ? Ou avait-elle avalé par mégarde des condiments empoisonnés destinés à une autre personne ? Qui était derrière ce geste qui n'avait pas l'élégance et le raffinement exigés à la cour ?
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Dans l'ombre du Soleil
Historical Fiction1685, Versailles. Louis XIV, le Roi-Soleil, illumine la cour. Mais dans son ombre bien des choses se trament : complots, meurtres, vols... C'est ainsi que Victoire de Cazuret, dix-sept ans et nouvelle demoiselle d'honneur de Madame, fait son entrée...
