Berry, 1er mai 1685
Victoire inspira longuement tandis que Hermeline serrait un peu plus son corset. Sa taille s'amincit, son dos se redressa et son souffle se coupa. La beauté résidait dans une souffrance silencieuse, lui disait-on chaque matin.
Hermeline s'essayait maintenant comme artiste capillaire. Elle brossa, boucla et poudra la chevelure de Victoire avec la ferme intention de ne laisser aucun cheveu lui échapper. La jeune fille réprima un énième gémissement.
La porte de sa chambre s'ouvrit soudainement et sa sœur de onze ans, Angélique, apparut dans le miroir de la coiffeuse, richement vêtue.
- Vous êtes en retard, dit le reflet. Les invités arrivent dans cinq minutes et Mère...
- Eh bien, dites à Mère que je descends dans cinq minutes, la coupa Victoire d'un ton calme sans se retourner. Ce n'est pas moi qui me marie aujourd'hui.
Le reflet de sa jeune sœur haussa des épaules avec dédain et sortit de la chambre sans ajouter un mot.
« Encore heureux. Manquerait plus que ça ! » pensa Victoire, en se poudrant le visage.
Hermeline finit de lui nouer les cheveux et y piqua un camélia.
- Voilà, mademoiselle, vous êtes ravissante.
Victoire considéra l'image que lui renvoyait sa psyché. Sa robe bleue pastel faisait ressortir ses yeux eux-mêmes bleu-gris. Ses cheveux châtains aux quelques reflets blonds étaient relevés en un ravissant chignon et une mèche bouclée retombait sur ses épaules dénudées.
Hermeline prit congé et la jeune fille descendit le grand escalier, puis traversa une foule de perruques, de dentelles et de robes multicolores dans le vestibule avant de rejoindre le reste de sa famille dans le salon de réception. Là, les tables du buffet croulaient sous des montagnes de pièces montées, encas et vin de Champagne. De magnifiques et imposants bouquets de fleurs donnaient à l'ensemble un décor de jardin pittoresque.
Le mariage de sa sœur aînée Marie-Adélaïde de Cazuret et du marquis de Beaumont s'annonçait fort somptueux.
Il fut éblouissant. La solennité de la cérémonie religieuse laissa rapidement place à la frivolité d'un copieux banquet situé dans la grande salle à manger aux murs tendus de soieries vert émeraude. La centaine de convives se plaça autour d'une immense table garnie de tous les mets et denrées les plus raffinés.
Les plats et les commérages se succédèrent dans une joyeuse ambiance festive et après avoir englouti le dernier chou à la crème, les hommes se retirèrent vers les salles de jeux, laissant les femmes discuter de sujets plus intimes autour d'une tasse de thé ou de chocolat.
- Victoire, appela Marie-Adélaïde en se tournant vers sa jeune sœur, devinez ce que Monsieur de Beaumont vient de m'offrir comme cadeau de mariage ?
- Une folie ?
- Non, mais j'aurais beaucoup aimé. A la place, ajouta-t-elle avec un ton qui trahissait sa déception et son exaspération, il m'a offert une énorme broche de diamants en forme de bouquet, avec des saphirs pour les bleuets, des rubis pour les roses et des émeraudes pour le feuillage.
- C'est un ravissant bijou, répondit poliment Victoire en portant sa tasse de thé à ses lèvres.
- Mais que voulez-vous que je fasse d'une si imposante broche ? Son poids est tel que je crains de déchirer le tissu de ma robe ! Et puis je n'aime pas les broches, c'est d'une futilité ! lança-t-elle en agitant l'air de ses doigts.
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Dans l'ombre du Soleil
Fiction Historique1685, Versailles. Louis XIV, le Roi-Soleil, illumine la cour. Mais dans son ombre bien des choses se trament : complots, meurtres, vols... C'est ainsi que Victoire de Cazuret, dix-sept ans et nouvelle demoiselle d'honneur de Madame, fait son entrée...