Prologue (Partie 2)

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Il se réveilla en sursaut, le corps en sueur. Haletant, il s'accouda dans son lit, essayant de recouvrer ses esprits. Il se frotta les yeux et, dans l'obscurité de sa chambre, des images flamboyantes passèrent devant lui. Il mit un temps avant de se rappeler où il se trouvait et d'où ces images pouvaient provenir. Celles-ci se dissipaient doucement, silencieusement, sans doute pour disparaître à jamais dans les méandres de son esprit. Il rattrapa les dernières qui constituaient son rêve étrange.

Elles lui rappelaient la soirée de la veille alors qu'on l'avait missionné pour surveiller un quatuor de coupe-gorges dans une salle de taverne bruyante. Il avait écouté malgré lui une femme déclamer des vers de tragédie. Après maintes lamentations, supplications et larmes, elle s'était figée, un bras en l'air, dans un tonnerre d'applaudissements. La minute suivante, elle avait changé de profession, se faisant diseuse de bonne aventure. Son verre de vin âpre tenu à hauteur de visage, il l'avait observée circuler entre les tables et les habitués. Elle s'était dirigée vers la table des quatre malfaiteurs. Ayant conscience qu'une surveillance à la dérobée attirerait davantage l'attention, il s'était décidé à se lever et à compléter la sixième place de la table.

- Bonsoir la compagnie, avait-il lancé à la cantonade en tirant un tabouret bancal vers lui.

- On t'a pas sonné, avait grogné un homme barbu et coiffé d'un bandeau, un chapeau tricorne placé près de son coude.

- Bel accueil de la part de quelqu'un qui aime les choses sonnantes et trébuchantes, avait répondu le jeune homme, en agitant sa bourse pleine.

La femme avait éclaté d'un rire tonitruant, la tête renversée en arrière.

- Dégage ! avait beuglé un deuxième au visage trop rouge.

- Je veux bien partir, l'ami, mais vois-tu, j'étais prêt à vous offrir la révélation de votre destinée, avait-il dit d'un ton calme en désignant du menton la femme.

Les deux derniers hommes avaient agrandi leurs yeux d'avidité, un air enfantin sur leur visage vérolé.

- Pourquoi fais-tu ça, petit ? avait demandé de premier, encore méfiant.

- A vous voir, vous avez l'air de grands aventuriers, avait-il dit en désignant le chapeau tricorne et les sacs posés à leurs pieds. Et sympathiques, avait-il ajouté en levant un doigt. J'aimerai entendre le récit de vos aventures et de vos périples. J'aimerai me lancer sur les routes, moi aussi, et pourquoi pas sur les mers, hein, à la recherche de trésors immenses et insoupçonnés.

Ils n'avaient pas démenti.

- Mais tu vois petit, nous, on est pas parti loin pour trouver des trésors, avait fait le troisième. Nan, 'sont pas si loin, les trésors.

Son premier compagnon lui avait alors lancé un regard noir par-dessus son verre d'étain. Le jeune homme savait que dans la rue voisine se trouvait l'hôtel particulier d'un marquis envié.

- Est-ce que ça demande de creuser beaucoup ?

- Un peu. Mais mon cousin fossoyeur creuse plus, avait répondu mollement le quatrième, un gringalet au bonnet mis de travers, en regardant le fond vide de son verre.

Le jeune homme avait accosté une soubrette.

- Un pichet du meilleur cru.

Il avait expliqué aux autres qu'avoir la bouche sèche ne les aiderait pas à digérer les nouvelles que la diseuse de bonne aventure allait leur annoncer. Cette dernière avait approuvé puis saisi la main du premier homme. Elle avait ensuite plongé son regard dans les lignes de sa paume rugueuse.

Dans l'ombre du SoleilOù les histoires vivent. Découvrez maintenant