Versailles, 15 mai 1685, très tôt le matin,
- Mon Dieu, Victoire ! Dites-moi que je n'ai pas de cernes ! lança Louise en agrandissant ses yeux. J'ai mal dormi. Il faisait trop chaud, ajouta-t-elle, l'air bougon.
- Ne vous inquiétez pas. Votre peau est aussi lisse que du parchemin.
Mais Marguerite, pimpante comme une fleur au réveil, ne rassura pas pour autant son amie.
- Ne vous plaignez pas trop. Ce n'est que votre cinquième jour ici. Pour ma part, cela fait quatre ans que je me lève tous les matins à six heures, que je me couche tous les soirs vers minuit, et il faut être debout toute la journée !
- Et le sourire n'est pas une option, devina Victoire.
Louise fit la grimace avant de laisser retomber sa tête sur son oreiller. Victoire, en riant, lui lança sans ménagement un coussin à la figure pour l'empêcher de se rendormir.
- Debout marmotte ! Ou nous serons en retard pour le lever de Madame et le passage du roi.
- Préparez-vous, conseilla Marguerite. Je vais nous quérir un petit quelque chose à nous mettre sous la dent avant de démarrer cette belle journée, ajouta-t-elle en souriant.
Quand Marguerite disparut dans le couloir au milieu des femmes de chambre et porteurs d'eau à l'œuvre, Victoire et Louise s'aidèrent mutuellement pour se vêtir et se coiffer.
- Vite ! Il faut nous dépêcher. Madame nous attend pour huit heures !
Elles sortirent à leur tour dans les corridors aussi animés qu'une ruche. Une marée de perruques fraichement poudrées, de chapeaux à plumes, de dentelles et de rubans se répandait dans les escaliers jusque dans les appartements du roi.
Dans ceux de la princesse, elles retrouvèrent Antoinette de Lorney et Elisabeth de Reyrolle, les deux autres nouvelles demoiselles d'honneur.
Le rôle de demoiselle d'honneur n'avait de complexe que le nom. Il suffisait de rester debout le temps que Madame se prépare pour la journée et de l'accompagner lors de ses promenades quotidiennes. En somme, faire « le pot de fleurs », comme disait Louise.
Après que le coiffeur attitré eut fini de friser les cheveux de la princesse, la double porte de la chambre s'ouvrit sur un groupe d'individus en tenues de cour. Deux personnes tenant chacune par la main un petit enfant entrèrent et plongèrent alors dans une révérence. Madame se retourna et s'exclama :
- Mes tous petits !
Le jeune garçon retira son chapeau miniature et s'inclina devant sa mère, puis lui fit le baisemain.
- Je suis bien aise de vous voir, mon fils. Quelles sont vos leçons pour ce jour ?
- Le latin, la géographie, l'escrime et les sciences, énuméra-t-il.
Étant âgé de plus de sept ans, Philippe d'Orléans avait quitté les jupes de sa gouvernante pour passer entre les mains des hommes qui se chargeaient de perfectionner son éducation dans tous les domaines.
Madame leva la tête vers le précepteur peu apprécié de son fils unique. Elle rétorqua, les yeux et les lèvres plissés :
- Tâchez le lui inculper les bonnes manières qui siéent à un petit-fils de France et de ne point lui garnir le crâne avec du jus d'âne.
Le précepteur s'inclina sans rien dire et quitta le salon avec son jeune élève.
La petite fille attendait patiemment son tour. Les enfants de sang royal étaient élevés loin de leurs parents et l'étiquette ne prévoyait qu'une courte entrevue quotidienne. Madame et sa fille échangèrent quelques paroles, puis la petite princesse s'en retourna accompagnée de sa gouvernante.
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Dans l'ombre du Soleil
Historical Fiction1685, Versailles. Louis XIV, le Roi-Soleil, illumine la cour. Mais dans son ombre bien des choses se trament : complots, meurtres, vols... C'est ainsi que Victoire de Cazuret, dix-sept ans et nouvelle demoiselle d'honneur de Madame, fait son entrée...