Pourquoi la forêt de Koadeg est-elle peuplée d'animaux humanoïdes ? Et qui sont vraiment les dieux étranges qui la gouvernent ? Autant de questions qu'Huli, Anatole et Azéria ne se seraient jamais posées si une force encore plus grande que la magie...
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L'oiseau chanta une nouvelle fois. Il était temps de se lever. Trop impatient d'être au lendemain, Huli avait mal dormi. Il s'apprêtait à choisir son futur métier et cette journée serait sans aucun doute la plus importante de sa vie.
L'oiseau reprit un peu plus fort ; Huli pivota vers sa table de chevet et souleva le petit gobelet en terre cuite qui y était posé. Trois lucioles en sortirent alors et s'envolèrent vers le plafond pour éclairer la minuscule chambre à coucher. Il s'assit sur son lit, attrapa dans la poche de son pyjama un sachet de graines qu'il tendit au moineau. Il se leva, se dirigea vers un léger renfoncement dans lequel était rangé un seau de bois rempli d'eau, y plongea les mains et s'aspergea la gueule. Ce doux rêveur avait toujours eu du mal à s'activer au réveil et ce jour, aussi important qu'il était, ne faisait pas exception. Il retira son pyjama puis enfila un short bleu et une chemise blanche en soie d'araignée que sa mère lui avait offerts pour l'occasion. En s'admirant quelques instants dans le miroir accroché à la porte, il s'aperçut qu'un bout de salade était resté coincé entre ses crocs, se lécha les babines et fit disparaître l'importun.
Huli Sabot était un jeune animal à tête de renard d'une quinzaine d'années. Il avait au derrière une jolie queue rousse de la même couleur que sa fourrure. Son ventre et son menton étaient recouverts d'un pelage blanc, ses mains et ses pieds d'un pelage noir donnant l'impression qu'il portait gants et bottes. Ses petits yeux jaunes reflétaient parfaitement sa vive intelligence. Quelques poils blancs perdus au milieu des roux dessinaient au-dessus de ses yeux de gros sourcils qui souvent trahissaient ses émotions. Deux grandes oreilles blanches bordées de roux dominaient le haut de son crâne.
Il était particulièrement fier de ses oreilles, ou plutôt de son oreille. Car s'il n'avait pas été très brillant à l'école, il était passionné de musique et avait longuement étudié le répertoire de son village. Il savait jouer de plusieurs instruments et connaissait de nombreuses chansons. Vivre de sa passion était son plus grand rêve et il avait passé, durant cette dernière année d'école, plusieurs auditions dans l'espoir de rejoindre de prestigieux orchestres. Aujourd'hui, enfin, il obtiendrait la réponse à toutes ses attentes. Il ouvrit la porte de sa chambre et emprunta la galerie qui menait à la salle de vie.
Huli vivait chez ses parents dans un trou individuel, une habitation souterraine bon marché dont la pièce principale, souvent étroite, faisait office d'entrée, de cuisine, de salle à manger et même de salon.
Lorsqu'il y entra, le renard tomba sur sa mère qui l'attendait de pied ferme. Elle lui avait préparé son petit déjeuner préféré. Ravi, il s'empressa de s'asseoir à côté de son père qui lisait le journal.
« Alors Huli, c'est le grand jour ! Pas trop stressé ? lui demanda sa mère en s'attablant auprès d'eux. »
Lejeune mâle, la bouche pleine, répondit non de la tête.
« Pourtant, tu devrais, ton père et moi sommes très inquiets pour toi. Nous espérons que tu choisiras un bon métier... »
Pour les parents d'Huli, un bon métier était un métier tranquille, répétitif et sans surprise : son père travaillait dans l'administration de la petite mairie du village et sa mère nettoyait l'intérieur des habitations des villageois les plus aisés. Aucun d'eux n'avait jamais nourri la moindre ambition : tout ce qui importait à leurs yeux était leur sécurité. Évidemment, ils tenaient tout de même à vivre dans un minimum de confort ;mais, comme ils avaient toujours vécu de façon modeste, ils se contentaient de peu.
« Mon fils, même si tes résultats aux examens de fin d'année ne sont pas brillants, tu trouveras forcément un métier sans danger et pas trop désagréable, j'en suis certain, affirma le père qui essayait de se rassurer. »
Ce n'était pas évident d'avoir pour parents deux lapins ! Ils avaient la réputation d'être extrêmement peureux. Huli ne pouvait qu'adhérer à ce préjugé car durant toute son enfance, ils avaient été tellement inquiets pour lui qu'ils lui avaient à peu près tout interdit. Il était peu courant pour un couple de lapins de n'avoir qu'un seul petit, mais l'éducation de leur renard avait été pour eux une telle source d'angoisse qu'ils avaient décidé depuis bien longtemps de ne pas avoir d'autres enfants.
Huli avala rapidement son petit déjeuner et réunit tout son courage pour prononcer à haute et intelligible voix :
« En fait, j'espère qu'ils me proposeront de rejoindre un des grands orchestres. Je veux devenir musicien professionnel.
—Ah, non ! Encore cette lubie, tu n'as plus dix ans !vociféra le père en froissant son journal. Sois un peu réaliste, tu as vraiment envie de vivre sur les routes ? C'est extrêmement dangereux. Et si l'orchestre pour lequel tu travailles n'a plus de succès, ce sera la rue !
—Ça m'est égal, je veux tenter ma chance.
—Je te l'interdis ! Penses un peu à nous, tes parents, tu ne voudrais pas que l'on tombe malade ! Rien que d'y penser j'en aides palpitations...
—Je veux juste réaliser mon rêve.
—Tu dis ça parce que tu es jeune. Tu ne connais pas les dangers de la vie.
—Je ne peux pas te contredire, vous ne m'avez jamais laissé faire quoi que ce soit. La musique, c'est tout ce que j'ai.
—C'est tout ce qu'il a ! Tu entends ça, Câline ? Si on avait su que la musique te donnerait la folie des grandeurs, crois-moi, mon bonhomme, ça fait bien longtemps qu'on t'aurait interdit d'en faire.
—Allons, mon chéri, tu y vas tout de même un peu fort, tempéra la maman. Je suis sûr que notre grand garçon saura être raisonnable. Nous l'avons bien éduqué. Il prendra la bonne décision, tu verras. »
Lepère, bougon, mit fin à la discussion et se replongea dans son journal tout froissé. Huli, qui avait bien compris le message, se prostra dans le silence et deux grosses larmes roulèrent sur ses joues. C'est alors qu'on frappa à la trappe.