Chapitre 2.3

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Les nouveaux compagnons auraient pu discuter des heures si un grand coup de tonnerre n'avait pas fait sursauter l'ensemble de la troupe. Roger ordonna qu'on se prépare à reprendre la route au pas de course. Certains finirent à la hâte ce qu'ils étaient en train de manger pendant que d'autres, autour de la mare, buvaient leurs dernières gorgées. Lorsque les premières gouttelettes tombèrent du ciel, la compagnie était prête à repartir. Soudain, le sanglier s'élança aussi vite que possible sans se soucier de savoir si les autres le suivaient. Larson, le lézard, qui craignait un nouveau coup de folie de son collègue, lui emboîta rapidement le pas. Il tenta tant bien que mal de le calmer en lui expliquant qu'à cette allure il risquait de perdre le reste du groupe, en vain : le guide et chef de l'expédition était comme possédé. Pour ne rien arranger, la grêle se mêla à la pluie qui se mit à tomber en trombes. Gouttes et grêlons percutaient le sol asséché et une épaisse brume se dégageait de ce mélange boueux.

Les cinq jeunes, inexpérimentés et peu endurants, se retrouvèrent vite à la traîne. La crainte du danger qu'ils encourraient s'ils venaient à perdre les autres les fit redoubler d'efforts. Malgré cela, l'écart les séparant de leurs aînés se creusait de plus en plus. Leur pelage et leurs vêtements trempés alourdissaient chacun de leur pas. Lorsqu'ils ne s'enfonçaient pas dans la boue, ils glissaient.

Ce qui devait arriver arriva : Raoul, pourtant en tête, s'écroula dans une flaque d'eau. Un court instant, ses camarades hésitèrent à le laisser là. Peut-être pouvaient-ils encore rattraper leur retard ? Gaspard et Anatole tentèrent leur chance et ne ralentirent pas. Huli, quant à lui, ne put abandonner le pauvre blaireau et aida Rousse à le relever. Le malheureux s'était foulé la cheville et ne pouvait plus courir. Affolé, il pleurait en suppliant ses camarades de ne pas l'abandonner.

« Calme-toi, Raoul ! Calme-toi ! Bien sûr qu'on ne va pas te laisser seul ! le rassura l'oursonne en le secouant. Même perdus, nous allons te porter et nous finirons bien par rejoindre des habitations.

—Ne dis pas n'importe quoi, Rousse, tu sais bien qu'on ne revoit jamais ceux qui se perdent dans la forêt profonde ! Et puis regarde ce gringalet, comment voulez-vous me porter ?

—Merci, c'est sympa, rétorqua Huli. Mais oui, je pense que tu as raison. Plutôt que de nous perdre davantage, nous devrions rester ici et attendre qu'on vienne nous chercher. Je suis sûr qu'Anatole va revenir avec du secours.

—Mais oui ! C'est évident ! Le ridicule petit écureuil va venir nous sauver, persifla le blessé.

—Maintenant ça suffit ! s'indigna Rousse en giflant le blessé. Huli et moi, on a pris d'énormes risques en te venant en aide, alors maintenant tu te reprends et tu nous parles correctement. Compris ?

—Désolé, je suis plus qu'ingrat, s'excusa-t-il en se frottant la joue. Mais j'ai tellement peur ! Et puis, cette pluie qui n'en finit pas...

—Allons, elle vient juste de commencer et va probablement bientôt s'arrêter. En attendant, abritons-nous là-bas, dans cet arbre creux, proposa Huli. Nous y serons au sec. Je vais attacher ma chemise à cette branche, comme ça ils sauront qu'on n'est pas loin. »

Les deux valides aidèrent l'éclopé à rejoindre le vieux chêne, à une centaine de mètres de là. Une fois à couvert, ils regardèrent le tissu qu'avait attaché le renard se faire battre par la pluie et le vent. « Ils ne nous retrouveront jamais », conclut Raoul avant de se remettre à sangloter. Refusant de se laisser submerger par la peur, Huli se mit à chanter. Sa voix douce et mélodieuse calma Raoul. Rousse, séduite, en oublia presque leur situation. C'était l'histoire d'un voyageur égaré dans la forêt qu'Alystos, dieu du voyage et des échanges, avait porté sur son dos puis ramené auprès de sa bien-aimée. Avant la fin du dernier couplet, une petite voix l'interrompit : « Finie, la pause ! ». C'était Anatole, accompagné de Maral, Gaspard et Larson. « Nous sommes sauvés ! » s'écria Raoul en tentant de se relever. Mais aussitôt, la douleur le reprit et lui rappela qu'il n'était pas encore tiré d'affaire. Maral sortit de son baluchon une bande de lin et un petit pot de terre cuite qu'il débouchonna avec soin. Il en retira une pâte noire, l'appliqua sur la blessure et banda sa cheville.

Koadeg : La forêt mondeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant