Pourquoi la forêt de Koadeg est-elle peuplée d'animaux humanoïdes ? Et qui sont vraiment les dieux étranges qui la gouvernent ? Autant de questions qu'Huli, Anatole et Azéria ne se seraient jamais posées si une force encore plus grande que la magie...
Il n'était pas tout à fait sept heures lorsqu'Huli aperçut les silos de son quartier. Le réveil avait été des plus difficiles. Ce matin-là, ses parents n'avaient pas pris la peine de se lever pour lui préparer le petit déjeuner ni même pour l'embrasser. Comme le renard ne devait plus les revoir avant trois mois, il regrettait amèrement de ne pas avoir pris le temps de leur expliquer ce qui s'était passé. Bien sûr, cela n'aurait rien changé, mais au moins il aurait pu se plaindre de leur manque d'empathie. Au lieu de cela, il s'en voulait terriblement. C'est donc le ventre vide et la mort dans l'âme qu'Huli Sabot quitta le trou familial.
Lorsqu'il atteignit l'entrée des greniers de Frênebois, il se mêla à un attroupement d'une quarantaine d'animaux de tous âges. Au milieu de ces inconnus aux allures d'athlète il se sentit très vite mal à l'aise. Intimidé, il observait, en levant la tête, la gueule de ses futurs collègues : des ours, des blaireaux, des loups, des cerfs et quelques chevreuils. Tous semblaient épuisés. L'air hagard, ils attendaient.
Huli, de même, baissa les yeux et fixa le néant. Il se laissa envahir par de sombres pensées. Il songeait à tout ce qu'il allait abandonner: sa petite vie douillette entre l'école et son quartier, ses parents qu'il aimait malgré tout et, bien sûr, son rêve de devenir musicien. Rien ne le peinait plus que d'avoir perdu tout espoir de vivre la vie à laquelle il s'était cru destiné. Complètement abattu, il se sentait incapable de faire face aux exigences de sa nouvelle vocation. La perspective de devoir arpenter de long en large la forêt profonde en transportant des marchandises l'horrifiait. La veille, il aurait peut-être mieux fait de ne pas insister et d'accepter le châtiment de Mme Griset, l'envoyée de la capitale. Au moins il serait resté à Petitbuisson. Faire la manche n'était probablement pas si terrible que cela et il aurait pu continuer à jouer de la musique. Il aurait vécu, certes, en marge de la société et sans perspective d'améliorer sa condition, mais au moins il aurait, d'une certaine façon, vécu de sa passion.
Soudain, quelqu'un le poussa violemment et il trébucha sur une racine. Se retrouvant à quatre pattes, il entendit derrière lui le plaisantin rire aux éclats.
« Alors, tu ne pouvais pas te passer de moi ? » Instantanément le renard reconnut son meilleur ami Anatole. Dans son malheur, il avait complètement oublié que transporteur était aussi le nouveau métier de l'écureuil. Trop heureux de le retrouver, il lui sauta au coup et se mit à pleurer.
« J'ai pas pu devenir musicien, sanglota-t-il.
—Ah là là... t'en fais pas, ici on va s'éclater ! »
C'est à sept heures pile, au chant du paon, que la troupe, en une fraction de seconde, se rangea en ordre serré. Les deux compères se retrouvèrent alors coincés au milieu du groupe, le museau collé àun vieil ours et à une laie mal odorante, de sorte qu'il leur était impossible d'apercevoir celui qui s'apprêtait à leur parler.
Une puissante voix retentit : « Bonjour à vous, fiers employés de Dubois Transporteur ! Je suis Roger Dumarais, votre chef et guide pour la journée. J'espère que vous avez bien profité de cette semaine de repos car aujourd'hui nous repartons pour une nouvelle mission. Comme vous le savez, une longue marche nous attend avant de rejoindre les baraquements ; donc, pas de temps à perdre : en avant ! »
Sans se desserrer, le groupe se mit aussitôt en marche d'un bon pas. Huli et Anatole, coincés au milieu de ces grands gaillards, furent bien obligés de suivre le rythme. A peine quelques mètres plus loin, la même voix s'écria : « Halte ! ». La compagnie s'arrêta net.
« J'oubliais...Y a-t-il parmi vous de nouvelles recrues ?
—Oui ! s'écrièrent plusieurs personnes dispersées dans la foule.
—Très bien, qu'elles s'avancent et viennent immédiatement se présenter à moi. »
Les deux amis demandèrent à leurs voisins de les laisser passer et se faufilèrent jusqu'en première ligne. Ils se retrouvèrent à droite d'une oursonne, d'un blaireau et d'un loup qui déjà tendait sa convocation à un gros sanglier. Ce dernier, après un bref coup d'œil à sa feuille, la confia à son adjoint, un lézard. Il se tourna ensuite vers l'oursonne, la dévisagea quelques instants, prit son papier, le donna au reptile puis recommença la même opération avec le blaireau. Au tour d'Huli, remarquant son corps chétif, ille mit en garde : « mon petit, tu vas en baver ».Quand il eut fini de s'occuper de lui, il s'adressa à l'ensemble de la troupe : « Ces formalités terminées, en avant ! ».Puis il se remit en route.
« Attendez !Attendez ! Pas si vite, M. Dumarais, vous en oubliez un !protesta le lézard.
Roger Dumarais, en se retournant, découvrit aux côtés du renard un petit écureuil sautillant qui agitait frénétiquement sa feuille. Il l'appelait de sa petite voix fluette :
« Et moi ? Et moi ?
— Qu'est-ceque ça veut dire, c'est une blague ? demanda le sanglier à sonadjoint sous les rires de l'ensemble de la compagnie.
—Pas du tout, M. Dumarais, c'est une nouvelle recrue. C'est un des fils Paturon, expliqua le lézard.
—Ah bon ? Mais que voulez-vous que j'en fasse ? Il est haut comme trois pommes.
—Il ne faut pas vous fier à ma taille, dit fièrement Anatole. Je suis aussi fort qu'Huli, mais en plus rapide !
—Tu veux dire, aussi fort que ce petit renard ? Mais enfin, qui m'a envoyé ces deux gringalets ? Plus ça va et plus on nous refile n'importe quoi, se plaignit le sanglier en arrachant la convocation des mains de l'écureuil. Je te préviens, tu n'as pas intérêt à nous retarder, sinon je t'abandonne au milieu de nulle part. C'est bien compris ?
—Ne vous inquiétez pas pour moi, vous verrez, je suis plein de surprises.
—Je n'en doute pas. Mais crois-moi, des surprises comme toi, je m'enpasserais bien. »
Heureusement, il en fallait bien plus pour démoraliser Anatole. Savoir qu'on ne croyait pas en lui décuplait sa volonté et il était impatient de montrer ce qu'il avait dans le ventre. La petite étincelle qui brillait dans ses yeux n'échappa pas au sanglier qui sut reconnaître la grande détermination de l'écureuil.
« Bon, ça suffit, tu nous as déjà fait perdre assez de temps comme ça, conclut le chef. Compagnie, en avant ! »
Oups ! Cette image n'est pas conforme à nos directives de contenu. Afin de continuer la publication, veuillez la retirer ou mettre en ligne une autre image.