Sous la halle, une cinquantaine de jeunes, alignés sur cinq rangées, attendaient en silence. Assis par terre, chacun avait devant lui un petit paquetage sur lequel était posée une grande enveloppe verte portant un numéro.
« Ah ! Enfin, les derniers arrivent ! s'exclama une grenouille visiblement chargée de les accueillir. S'il vous plaît, veuillez vous asseoir à l'emplacement correspondant au numéro inscrit sur votre carton. »
Comme il ne restait plus que cinq places libres, Huli et Anatole trouvèrent rapidement la leur.
«Bien, nous allons commencer dans quelques instants. »
Le renard scruta l'assemblée afin de repérer son ami. Lorsqu'il l'aperçut au fond de la halle, il fit de grands gestes pour attirer son attention. L'écureuil, qui cherchait de nouveau à bien se faire voir, l'ignora volontairement. Quel idiot, voilà qu'il recommence à faire l'employé modèle, pensa Huli.
Comme son ami le snobait, il s'intéressa à ce qui se préparait. Au plafond, un essaim de lucioles virevoltait, éclairant l'endroit d'une lumière oscillante. Devant lui, deux animaux le séparaient d'une scène sur laquelle étaient entreposés trois tas de pommes. Dans l'ombre, à droite à côté de l'estrade, quatre silhouettes chuchotaient, assises derrière un grand bureau. L'une d'elle se leva et monta sur les planches. A la lumière, elle s'avéra être celle d'un grand loup noir aux dents bien longues.
« Chères nouvelles recrues de Dubois Transporteur, bienvenue ! Je me présente, Freki Amarok. Je suis le préparateur de mission assigné aux nouveaux employés. Je suis sûr qu'en ce moment, vous vous sentez un peu perdus, mais pas d'inquiétude, on va tout vous expliquer. Dès demain matin, vous serez prêts à partir en mission ! »
Un brouhaha s'éleva dans l'auditoire. Si certains étaient partis la veille, tous étaient arrivés dans la journée. Exténués, il sauraient au moins aimé profiter d'un jour de repos.
« Toujours la même attitude », remarqua avec agacement Freki Amarok qui tapa du pied sur l'estrade pour ramener le silence.
« Ah ! c'est mieux, reprit-il en soupirant. Que les choses soient claires. Vous n'êtes plus à l'école et je ne tolérerai aucune protestation. Vous pensiez venir en vacances ? Je sais que vous êtes fatigués, mais il va falloir vous y faire car ici cela ne vous empêchera jamais d'accomplir votre tâche ! »
Cette dernière phrase inquiéta Huli. Faisaient-ils travailler leurs employés jusqu'à ce qu'ils meurent de fatigue ? Une chose était sûre, ce loup ne leur voulait pas du bien.
« Votre nouvelle entreprise appartient à Oscar Dubois poursuivit le canidé. Elle se divise en trois pôles principaux : l'administration, la manutention et, bien sûr, celui qui nous intéresse, le transport. Émile Dubois est le directeur de notre secteur ; en dessous de lui viennent directement les neuf dirigeants de nos neuf sites de transit. M. le directeur, si vous voulez bien venir vous présenter. »
Derrière le bureau, une des silhouettes se leva et rejoignit péniblement le loup sur scène. C'était un vieil hérisson qui, sortait visiblement d'une très longue sieste.
« Merci mon p'tit loup, comme toujours tu fais du très bon travail, dit-il d'une voix chevrotante. Salut jeunesse ! Mon nom est Théodore Racine, directeur de Marchepin. Je suis toujours très ému d'accueillir les nouveaux, cela me rappelle mes débuts, confia-t-il aux autres personnes restées derrière le bureau. Il y a de cela fort longtemps, je me trouvais moi aussi assis sous cette halle. »
Fréki Amarok soupira. Il n'en pouvait plus d'entendre le vieux ressasser ses vielles histoires.
«Des années durant, j'ai arpenté, le sac au dos, la forêt profonde. Que d'aventures j'ai vécues ! Vous aussi, vous vivrez de fabuleux moments, mais aussi de terribles. Hélas, oui, les accidents ne sont pas rares et il m'est arrivé de perdre de bons compagnons. Après de nombreux efforts, j'ai pu devenir préparateur de mission, poste ô combien plus tranquille ! »
Le loup fit une grimace : « Ce n'est pas de tout repos non plus, se défendit-il.
—Allons, mon p'tit loup, ne te vexe pas, je leur raconte mon parcours, tu veux bien ?
—J'aurais préféré que vous leur parliez de nos exigences pour maintenir notre avance sur la concurrence, lui chuchota-t-il nerveusement.
—La conférence, quelle conférence ?
—LA CONCURRENCE ! hurla le canidé à bout de patience.
—Mais, mon pauvre ami, à mon âge, on s'en tamponne de la concurrence ! Notre chère famille Dubois a décidé de me mettre à la retraite forcée à la fin de l'année. Après cinquante ans de loyaux services, ils pensent que je ne suis plus capable de remplir ma fonction ! Foutaises ! Je vais peut-être la rejoindre, moi, la concurrence ! Ça leur ferait les pieds, tiens !
—Allons monsieur le directeur, je vous en prie, reprenez-vous !
—Tu as raison mon p'tit loup, c'est très mauvais pour mon cœur. Je crois que je vais te laisser terminer. C'est mon heure, si quelqu'un me cherche, je serai dans mon bureau.», dit-il en baillant aux corneilles.
Théodore Racine quitta fébrilement la scène. Son bureau doit ressembler à une chambre à coucher, pensa Huli en le regardant s'éloigner puis disparaître dans la nuit qui venait tout juste de tomber.
« Ne vous y trompez pas, M. Racine est encore aujourd'hui un excellent dirigeant. Être obligé de nous quitter à la fin de l'année le rend terriblement amer, mais vous comprendrez bien qu'il est temps pour lui de laisser sa place à quelqu'un de plus jeune, expliqua le loup en arborant un sourire carnassier. Mais revenons à notre organigramme. Nous en étions au directeur de site. En dessous de lui se trouvent les préparateurs de missions, dont je fais partie. A Marchepin, nous sommes douze. Notre travail consiste à vous répartir dans les différentes missions puis à rédiger vos feuilles de route. Pour finir, en bas de l'échelle se trouvent les transporteurs : vous. Je tiens à préciser qu'à chaque nouveau convoi nous désignons au hasard parmi les vingt membres d'expédition un responsable, que certains appellent bêtement « chef »ou « guide », ainsi que son adjoint. Pendant la totalité du voyage, ces deux personnes s'assurent que la feuille de route est bien respectée. Le premier prend, en cas d'imprévus, d'importantes décisions qui ne peuvent être discutées. Le second le remplace lorsque la situation l'exige. De retour aux baraquements, ils fournissent à leurs supérieurs le compte-rendu détaillé de leur périple et touchent une prime s'ils ont bien rempli leur fonction. Bien entendu, vous, les novices, vous ne faites pas partie du tirage au sort et ne pourrez donc pas être sélectionnés. Maintenant que nous en avons terminé avec l'organigramme, M. le commissaire, voulez-vous bien me rejoindre sur scène ? »
VOUS LISEZ
Koadeg : La forêt monde
FantasyPourquoi la forêt de Koadeg est-elle peuplée d'animaux humanoïdes ? Et qui sont vraiment les dieux étranges qui la gouvernent ? Autant de questions qu'Huli, Anatole et Azéria ne se seraient jamais posées si une force encore plus grande que la magie...