2 - Héléna : bienvenue à l'ambassade

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     La semaine suivante, Héléna Michel vint d'abord se présenter à l'accueil après avoir franchi la sécurité. La responsable de l'accueil, une avenante quadragénaire, lui adressa tout de suite un chaleureux sourire.

     — Bonjour ! Une volontaire féminine, ça change ! Il n'y a que des garçons.

     — Oui, on n'est pas nombreuses. Dites-moi, c'est normal qu'il fasse aussi froid ?

     —Tu vas t'habituer à notre clim', ma belle. Mais je te conseille de prendre une veste quand tu viens bosser. Ou même un pull.

     Héléna se mit à rire.

     — Je n'ai même pas pris de pull, je croyais aller sous les tropiques !

      — Tropiques dehors, Sibérie dedans. On s'habitue. Tu es affectée au service juridique, deuxième étage, à gauche en sortant de l'ascenseur. Tu dois te présenter au bureau d'Hugo Fohl.

     — Merci à vous.

     — Tut tut, tout le monde se tutoie ici, entre expats... Moi je suis Christine. Sauf Hugo Fohl, ton patron. Lui, ce sera monsieur Fohl, si tu tiens à la vie.

     Héléna sourit, remercia à nouveau et alla prendre l'ascenseur. Elle se demandait si elle arriverait à éviter la pneumonie pour son premier jour. Elle frappa au bureau qui affichait la plaque au nom d'Hugo Fohl. Après les paroles de Christine, elle avait imaginé un homme grisonnant d'un certain âge, bourru par des années d'exercice. Elle fut très surprise quand un jeune homme lui ouvrit la porte. Un grand brun, à peine plus âgé qu'elle-même, assez agréable à regarder: elle devait le reconnaître.

     — Bonjour, dit-elle en souriant, je suis la nouvelle volontaire civile...

     — Oui, la coupa-t-il, entrez mademoiselle Michel.

     L'inconnu fit le tour du bureau et s'assit. Donc il n'était pas seulement le secrétaire, se dit-elle avec une surprise grandissante. Il avait l'air tellement jeune. Était-ce vraiment lui,  Hugo Fohl ? Il lui indiqua le siège en face de lui et elle s'assit en le remerciant. Elle se tint bien droite, les jambes réunies et pliées en Z. Il la toisait de la tête aux pieds, et elle se sentit un peu mal à l'aise. Elle avait cependant assez confiance en elle pour se convaincre qu'elle faisait bonne impression. Avec son tailleur pantalon noir, elle ne dépareillait pas dans une ambassade. Elle le savait bien, c'était la troisième où elle travaillait en deux ans.

     — Je suis Hugo Fohl, dit enfin l'inconnu. Je dirige le service juridique. Je serai votre supérieur.

     Il était bien jeune pour diriger quoi que ce soit. Vingt-cinq ou vingt-six ans au maximum. Un intérimaire ? Un fils à papa placé par piston ? Quant à dire "je serai votre superieur", Héléna ne se sentait pas l'âme d'une militaire et elle considérait qu'elle n'avait pas de "supérieur", juste des patrons temporaires. Après tout, dans un an, elle serait de retour en France définitivement.

     — Vous savez utiliser un traitement de texte ?

     — Oui monsieur.

    — Excel ?

     — Oui monsieur.

     — Internet ?

     — Oui monsieur.

     Héléna se retint de lever les yeux au ciel. Il n'allait pas tarder à lui demander si elle savait lire et écrire.

     — Vous avez des notions de droit ?

     Aïe, la tuile.

     — Non monsieur, j'ai une licence en littérature.

     — Je peux espérer que vous ne fassiez pas de fautes d'orthographe ?

     — Je ne fais pas de fautes d'orthographe, rétorqua-t-elle.
  
     Voilà, on y était : est ce qu'elle savait lire et écrire ? Hugo Fohl semblait retenir une grimace méprisante.

     — C'est bien. Je compte dessus, parce que j'en ai assez de corriger les fautes de mes subordonnés. Je vais vous montrer votre bureau, que vous partagerez avec les autres volontaires du service. S'ils vous ennuient en quoi que ce soit, venez me faire un rapport. Vous commencerez tous les jours à neuf heures au plus tard.

     Il se leva, lui fit signe de venir et sortit du bureau. Héléna restait un peu refroidie par ses manières. Une chanson s'incrusta dans sa tête "You are in the army now", tandis qu'elle le suivait. Il ouvrit une porte plus loin dans le couloir, sans prendre la peine de frapper. Les hommes à l'intérieur de la pièce interrompirent net leur conversation.

     — Votre bureau, mademoiselle Michel, dit Hugo Fohl en lui indiquant une table libre. Je vous présente messieurs Flament, Bertrand et Déon. Messieurs, voici Héléna Michel, la nouvelle coopérante. Je vous laisse vous installer.

    Il tourna les talons avec raideur.

     Héléna resta muette et empruntée dans l'encadrement de la porte. Heureusement, après une seconde de silence, les trois garçons présents éclatèrent de rire et vinrent la saluer tour à tour.

     — Ne t'inquiète pas, Fohl est toujours comme ça. Bientôt tu n'y feras plus attention, comme nous. Moi c'est Gabriel Flament, je suis de Tours.

     — Moi c'est Léo Bertrand, je suis de banlieue parisienne.

    — Il n'ose pas dire qu'il vient de Seine-et-Marne, ça fait campagnard ! Moi c'est Thibaut Déon, je suis de Lyon.

    — Héléna Michel, je suis de Nantes.

     Elle se sentit rassurée par leurs sourires. Quelques questions supplémentaires lui apprirent qu'ils avaient tous le même âge, vingt-trois ans, qu'ils avaient comme elle une certaine expérience internationale. Ils étaient chaleureux, ce qui lui faisait plaisir après l'accueil de son "supérieur" autoproclamé.

     — Tu verras, le travail n'est pas compliqué, dit Gabriel. Refaire les passeports perdus, prolonger les visas des Français...

     —  ... Et refuser les visas pour les autochtones ! ajouta Léo avec un rictus.

     Héléna eut un sourire entendu. Les ambassades avaient pour rôle de délivrer les visas aux étrangers qui souhaitaient entrer en France pour une période plus ou moins longue. Les règles étaient strictes, pour réduire au maximum le nombre de visas délivrés. La question n'était pas: "avez-vous de la famille en France ?" C'était : "avez-vous des raisons de rentrer chez vous?" Avoir de la famille en France et aucune raison de rentrer au pays était le meilleur moyen de se faire refuser un visa...

     — Oui, c'était pareil en Afrique, commenta-t-elle. Je ne le faisais pas moi-même, mais les autres coopérants me racontaient.

     — Là tu vas le faire toi même, mais de toute façon Fohl passera derrière toi pour critiquer tout ce que tu as fait...

     — ... et tout ce que tu n'as pas fait, ajouta Léo en riant franchement.

     — Donc, reste cool. Tu n'auras aucune initiative et aucune autonomie, conclut Thibaut. Point positif : tu ne peux pas te tromper. Point négatif : tu vas t'emmerder grave, et tu vas te dire que tu ne sers à rien.

     — Mais ce n'est pas si mal, reprit Gabriel. Être payé à ne rien faire, c'est le rêve de ma vie !

     Héléna éclata de rire et songea qu'elle était bien tombée dans son nouveau poste.

Les ambassades sont remplies d'espions (terminé)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant