29 - Hugo: en pleine rébellion

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            Hugo avait rendez-vous avec l'agent de la DGSE que Ravel lui envoyait. Fidèle à sa prudence redoublée depuis qu'il était rentré de Padang, il ne se déplaçait qu'en plein jour dans des lieux fréquentés, et se faisait souvent accompagné par Buisson ou un autre personnel de l'ambassade. Sans compter qu'il regardait toujours derrière lui et ne regagnait plus directement son appartement.

      La paranoïa était usante, mais pouvait être salutaire.

     Il se rendit dans un petit restaurant traditionnel. Il avait commandé un jus de fruits en attendant son contact. Celui-ci apparut enfin. C'était un homme d'une trentaine d'années, avec un look de baroudeur, qui s'assit avec désinvolture sans se présenter. Hugo, surpris, tressaillit.

     — Relax. Il y a un avis de tempête tropicale sur Bornéo, annonça l'inconnu.

     — C'est mieux qu'un tsunami.

     L'inconnu hocha la tête. Les codes échangés étaient corrects. Il s'installa confortablement, étendant ses jambes et croisant ses bras.

     — Alors, il paraît que vous avez des jouets intéressants ?

     Son ton railleur déplut à Hugo. Il s'était donné du mal pour remplir sa mission.

     — Je n'appellerai pas ça comme ça, rétorqua-t-il avec raideur.

     — Ne prenez pas la mouche, mon petit. Je suis sûr que votre mission changera la face du monde.

     — Est-ce que Paris va vraiment agir sur ce dossier ?

     — Oh, on ne sait jamais, dit l'agent avec désinvolture. Paris adore collecter des renseignements sur des gens haut placés,  mais garde ça au secret très longtemps. Il est très possible que vos soi-disant éléments majeurs dorment dans un tiroir pendant des années. Cela arrive souvent. Vous vous y ferez avec l'expérience... Mais ne vous en faites pas. Votre carrière avancera quand même.

     Hugo secoua la tête avec consternation. Il imagina Monod en prison, Sidek toujours ministre... En une seconde, il prit sa décision.

     — Je n'ai pas grand-chose à vous transmettre, à part mon rapport et des photos, qui ont déjà été envoyées à Paris par support numérique.

     L'agent plissa les yeux.

     — Ravel a parlé d'une preuve solide, ou plutôt poudreuse, en sachet.

     — Je ne l'ai plus.

     L'agent eut l'air moins décontracté, soudain.

     — Comment ça, vous ne l'avez plus ?

     Hugo se leva.

     — Je vous souhaite une bonne journée. Transmettez mes salutations au colonel.

     Et il partit rapidement, plantant là son contact qui avait l'air éberlué. "Quel abruti", pensa Hugo. En tout cas, le rencontrer lui avait permis de comprendre ce qu'il devait faire. Rentré chez lui, il contacta l'avocat de Mathis Monod.

     — J'ai des éléments importants à vous communiquer pour défendre votre client.

     Hugo avait conscience que ce n'était pas la meilleure solution pour servir sa carrière, mais il devait faire son devoir comme il le concevait.

     L'étape suivante fut de contacter les médias. Ils étaient plus ou moins contrôlés par le régime, où la censure n'était pas un vain mot. Hugo connaissait celui qui était le plus frondeur de tous et gardait une forme d'intégrité, c'est-à-dire celui qui avait le plus d'ennuis avec la Chancellerie royale.

    Il se rendit dans leurs bureaux, dans une petite artère discrète. Il fut introduit par l'ami d'un ami, auprès du rédacteur en chef, qui fut très intéressé par son récit.

     Hugo pensait que le contenu sensible allait faire l'objet de multiples conférences de rédaction et que cela risquait de traîner durant des semaines. Il fut très agréablement surpris de voir l'information publiée au bout de trois jours.

     Le ministre Sidek lié aux cartels – Le trafic a un relais haut placé au gouvernement.

     Cela fit les gros titres. En vingt-quatre heures, le royaume fut en ébullition.

     Hugo était admiratif de la détermination du journal. Malgré la pression politique et royale, il avait eu le courage de sortir l'affaire. Les autres médias avaient d'abord tenté de minimiser les preuves, mais avaient changé de discours très rapidement face aux photos transmises par Hugo. Le scandale était à présent retentissant. Il était même couvert par les médias de l'Asie du sud-est, depuis Bangkok et Jakarta. Le quotidien en anglais de Singapour en avait fait également sa « une », ce qui signifiait que cela n'allait pas tarder à être relayé à la fois en Chine et au Royaume-Uni, les deux grandes puissances qui avaient des intérêts économiques avec le royaume.

     Au service juridique, Héléna manifesta son enthousiasme et le félicita, à l'abri des oreilles indiscrètes. Hugo était radieux.

     Le colonel Ravel ne tarda pas à le contacter, avec une réaction bien différente.

     — Mais qu'est-ce que vous avez foutu ?

     Hugo s'attendait à une conversation de ce genre.

     — J'ai fait ce que je devais faire.

     — Vous n'avez pas suivi les ordres. Vous êtes irresponsable ! Ce n'est pas la procédure. Ce dossier devait rester confidentiel.

     Hugo encaissa l'orage sans se défendre. Il estimait qu'il avait agi comme sa conscience le lui demandait. Il estimait aussi que Ravel avait le droit de lui faire des reproches. De toute façon, cela ne changerait rien, il était trop tard. Hugo le laissa donc hurler au téléphone, en écartant le portable de son oreille.

     Il s'étonna lui-même de la placidité avec laquelle il faisait face à la tempête. Probablement que son travail n'était plus tout pour lui, comme il l'était encore récemment.

     Ravel conclut enfin :

     — Vous venez de vous peindre une cible dans le dos. Vous devez évacuer, vous m'entendez ? Vous réunissez les dossiers sensibles et vous partez avec. Tenez-vous prêt à recevoir l'ordre de rentrer par la voie diplomatique, pour ne pas éveiller les soupçons autour de vous. A la fin de la semaine, vous vous présenterez au siège à Paris. Je vous conseille d'être là et d'adopter une autre attitude si vous voulez encore un avenir dans la maison !

     Ravel raccrocha. Hugo se sentit soulagé que l'épreuve soit finie. C'était très désagréable de se retrouver dans la peau d'un subordonné que l'on pouvait tancer ainsi. En outre, il n'avait pas vraiment envie de partir. Evidemment ce serait mieux pour sa sécurité. Mais il n'y avait pas que sa sécurité qui occupait son esprit.

     Le lendemain, Blanchard l'aborda dans le couloir.

     — Vous avez lu les articles sur le ministre de l'intérieur ?

     — Evidemment, monsieur l'ambassadeur.

     — Je n'en reviens pas ! Comment est-ce possible, d'être impliqué dans un trafic international de stupéfiants quand on a une telle carrière politique ? C'est peut-être faux. C'est peut-être une tentative de déstabilisation des services britanniques du MI-6 ?

     — Je ne crois pas, monsieur l'ambassadeur.

     Blanchard n'insista pas et retourna à son bureau, « dont il ne devrait pas sortir », pensa peu charitablement Hugo.

     Hugo ouvrit le coffre-fort pour trier les dossiers qu'il devait emmener en partant. C'était une étape de sa vie qui se refermait. Adieu l'Asie, l'ambassade et le service juridique. S'il était conservé dans son job, il le remplirait ailleurs, avec d'autres objectifs, et ne reviendrait jamais ici.  A travers le mur, il entendit le rire d'Héléna. Il devrait aller la voir, lui faire ses adieux avant de quitter le pays.

     Il n'en avait aucune envie.

     Alors qu'il débattait sur ce qu'il allait lui dire, les premières détonations retentirent.

Les ambassades sont remplies d'espions (terminé)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant