16 - Héléna: de plus en plus impliquée

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    Héléna faisait des photocopies à la chaîne pour refaire le stock de formulaires. Elle aurait pu déléguer ce travail à Sophie, mais elle préférait s'en charger elle-même. Sophie avait désormais pour mission principale de ravitailler le bureau en papier blanc, en sachets de thé et en capsules de café. Cela devrait éviter les psychodrames. Quant aux garçons, s'ils avaient espéré se décharger de leur travail sur Sophie, ils avaient vite compris que ce ne serait pas possible. Gabriel s'était engagé à la former progressivement à des missions plus importantes. Très progressivement, avait-il précisé. Quand il serait sur le départ, de retour vers la France, peut-être Sophie pourrait prendre à sa charge une partie des dossiers à traiter.

    En tout cas, la jeune secrétaire restait, ce qui satisfaisait Héléna. Cela lui faisait plaisir de ne pas être la seule fille du service juridique. En outre, cela détournait d'elle les tentatives maladroites de séduction de Léo et de Thibaut. Tout bénéfice.

    Elle vit Hugo arriver dans le couloir et déverrouiller la porte de son bureau. Il avait l'air préoccupé. Il était tellement plongé dans ses pensées qu'il ne s'était pas aperçu de sa présence, ce qui était inhabituel.

    Elle se demanda ce qui occupait son esprit à ce point. Mathis Monod ? Ou plus exactement, le ministre Sidek ?

    Elle n'avait rien d'autre à lui apprendre. Rien de concret n'était ressorti de ses conversations avec le Français emprisonné. De plus, le pauvre Mathis s'enfonçait dans la dépression, c'était visible. La privation de liberté, les conditions spartiates, l'injustice ressentie, constituaient un mélange atroce pour la santé mentale du jeune homme. Héléna se sentait impuissante. Mathis n'allait pas bien, Hugo n'allait pas bien. Elle aurait voulu faire quelque chose pour eux.

    Elle hésita un instant, puis alla toquer à la porte du bureau. Elle ne savait même pas ce qu'elle allait dire, c'était ridicule, mais elle ne pouvait pas s'en empêcher.

    — Entrez, dit Hugo de sa voix brève habituelle.

    Il n'était pas assis derrière sa table de travail mais se tenait devant sa pile de dossiers, avec un air à la fois consterné et concentré. « J'ai raison, se dit Héléna, il ne va pas bien du tout ».

    — Oui, mademoiselle Michel ?

    — Je... Euh...

    Elle se crispa. Elle devait éviter d'être ridicule.

    — Je voulais juste vous dire que je n'ai pas d'autres informations, malheureusement. Mais je veux savoir si je peux faire quelque chose.

    — Faire quelque chose ?

    — Pour vous. Pour Mathis.

    — Il n'y a rien que vous puissiez faire, j'en ai peur.

    « Et vlan, Héléna ! Pour qui tu te prends ? » pensa-t-elle avec dérision.

    — Monsieur Fohl, je... Je vous en prie, s'il y a quoi que ce soit où je pourrais me rendre utile, demandez-moi, dit-elle avec véhémence. Je ne veux pas rester sans rien faire. Mathis va mal. Sa mère pleure devant moi. Et je vois bien que vous êtes inquiet. Et moi... je ne me sens pas bien non plus.

    Elle s'en voulut tout de suite d'avoir dit ça. Elle allait apparaître comme une pleurnicheuse et elle était sûre que cela déplairait souverainement à quelqu'un comme Hugo.

    Curieusement, il arbora une expression chaleureuse.

    — Vous êtes gentille de vous préoccuper ainsi des autres.

    — Je veux aider, monsieur.

    — Vous m'aidez déjà...

    Il sembla hésiter en la regardant. Comme s'il voulait lui dire quelque chose, mais qu'il hésitait terriblement.

    — Je ne dirai rien à personne, assura Héléna avec son air le plus sérieux.

    — Je le sais.

    Il parut se décider.

    — Je vais partir quelques jours, dans la zone frontalière avec la Thaïlande. J'espère y trouver des informations qui aideront Mathis.

    — Vous cherchez des renseignements sur un trafic qui impliquerait le Ministre de l'Intérieur ? demanda Héléna avec de grands yeux captivés.

    Hugo serra les mâchoires.

    — Je ne vous ai rien dit.

    — Bien sûr que non. Sidek va près de la frontière et vous allez le suivre, c'est ça ? Je vous en prie, ne me regardez pas comme ça, vous savez que je n'en parlerai à personne !

    Hugo laissa échapper un rire léger. C'était bien la première fois que Héléna entendait ce son.

    — Vous êtes intelligente. Vous comprenez vite. Mais j'insiste, pas un mot dessus, pas même à Mathis pour lui donner de l'espoir. Si cela n'aboutit pas, ce serait terrible pour lui. Je ne veux pas le torturer plus qu'il ne l'est déjà.

    — Bien entendu. Vous pouvez compter sur moi.

    Spontanément, elle lui tendit la main. Il la prit et la pressa plus longuement que nécessaire.

    — Soyez prudent, monsieur.

    Il fit un signe de tête, et elle le laissa.

    Elle était partagée entre différentes émotions, à présent. Toujours l'inquiétude et le stress, mais aussi un sentiment plus plaisant qui lui faisait battre le cœur.

    Dans l'après-midi, Léo entra, proclamant que Fohl s'était absenté, et que Buisson prenait le service en charge, comme d'habitude.

    — Ce Fohl, il est incroyable ! Il se barre régulièrement, et personne ne lui dit jamais rien ! Je ne sais pas s'il fait du tourisme ou s'il va se faire bronzer quelque part, mais ce n'est pas sérieux. Et après il ose nous faire des reproches !

    Héléna ne dit rien et poursuivit placidement sa saisie informatique. Gabriel lui lança un regard de côté.

    — Tu sais où il va, par hasard ?

    — Ne sois pas ridicule. Je ne le sais pas plus que vous, assura-t-elle en levant la tête.

    — Je ne vois pas pourquoi Héléna le saurait, renchérit Léo.

    Gabriel envoya un regard en coin à Héléna, qu'elle intercepta. Elle rougit un peu et baissa la tête. Gabriel avait remarqué ses relations privilégiées avec Hugo. Elle ne voulait pas lui mentir mais ne pouvait rien dire. Hugo avait confiance en elle, elle ne le décevrait pas. Par chance, Léo détourna la conversation en poussant un cri. Il avait demandé sa mutation à la mission consulaire de Taïwan et venait de recevoir, à l'instant, une réponse positive par mail. Il hurla de joie. Les autres le félicitèrent.

    — Tu n'as plus qu'à apprendre le chinois ! dit Thibaut.

    — Je l'apprends depuis plusieurs mois, même si je suis forcément nul. Il paraît qu'il faut dix ans pour maîtriser cette langue !

    — Tu nous dis quelque chose en chinois ? demanda Gabriel, admiratif.

    — Wo shi fa guo ren. Ça veut dire "je suis Français ".

    — Super ! s'écria Héléna. On croisera les doigts pour que Pékin n'attaque pas pendant que tu es à Taïwan !

    — Ouh la oui, en effet! fit Léo avec une grimace.

Les ambassades sont remplies d'espions (terminé)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant