6. Héléna: Fohl est bien mystérieux

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    Gabriel arriva en retard, tout en mettant sa veste.

    — Quelle poisse, mon téléphone était sur silencieux, je n'ai pas eu de réveil.

    Héléna se mit à rire dans son mug de thé.

    — Ce n'est rien. J'ai dit à Fohl que tu étais passé à la compta.

    — Merci, tu es l'amour de ma vie !

    Héléna sourit sans répondre. Au bout de quelques semaines, elle avait compris que Gabriel n'était nullement intéressé par les filles et qu'elle ne risquait rien à accepter ses déclarations enflammées. Elle devait maintenir plus de distance avec les deux autres, en revanche. L'art délicat du « pas trop loin pas trop près » pouvait être épuisant, parfois.

    Hugo Fohl revint plus tard, s'assurer que ses ouailles étaient bien là au complet, puis il leur dit:

    — Je vais devoir m'absenter quelques jours. Vous verrez avec Buisson pour ce qui est urgent.

    — Oui, monsieur, dit Héléna.

    Du coin de l'œil, elle voyait les sourires satisfaits des coopérants. Ils étaient sympas avec elle mais pouvaient avoir vraiment mauvais esprit, par moments.

    — Monsieur Blanchard propose d'engager une nouvelle secrétaire pour le département. J'ai décidé de vous laisser faire le recrutement.

    Thibaut et Léo eurent l'air très intéressés, soudainement. Héléna leva les yeux au ciel.

    Hugo Fohl les regarda une dernière fois, arrêta son regard sur Héléna une seconde, la salua d'un hochement de tête et tourna les talons.

    Thibaut lança en l'air son agrafeuse.

    — Youhou ! Enfin libres !

    — Chut ! fit Héléna sévèrement. Attends qu'il soit loin, au moins.

    — On s'en tape !

    Héléna eut un pincement au cœur. Fohl n'était pas très agréable mais il ne méritait quand même pas d'être traité ainsi.

    — Il joue toujours au petit soldat ! grogna Léo. Il paraît qu'il aurait voulu entrer dans l'armée, mais que l'armée n'a pas voulu de lui. Ca ne m'étonne pas !

    — C'est ridicule, trancha Héléna. Pourquoi l'armée ne voudrait-elle pas de lui ? Elle prend tout le monde !

    — Ben, pas lui, ça en dit long, non ? En tout cas, il se comporte avec tout le monde comme un capitaine avec ses soldats.

    Héléna n'en crut pas un mot et se dit qu'elle aimerait bien se renseigner sur Fohl, un de ces jours.

    L'ambassade avait demandé une secrétaire parmi le personnel d'ambassade du sous-continent asiatique, et les dossiers arrivèrent par mail dès le lendemain. Les garçons se penchèrent dessus avec délectation. Héléna entendit s'entrecroiser leurs remarques.

    — Celle-là est jolie !

    — Moi je préfère celle-là !

    — Pas assez de poitrine !

    — Oui mais elle est rousse ! Une rousse incendiaire !

    Même Gabriel s'y mettait. Il n'avait pas fait de coming-out et il faisait semblant. Héléna trouvait ça triste, mais gardait ses réflexions pour elle.

    — Je comprends que vous allez recruter la secrétaire sur compétences photographiques ? railla-t-elle.

    Le choix fut arrêté sur une certaine Sophie. Elle envoya un mail de remerciement et indiqua qu'elle arriverait dans la semaine, après avoir donné son préavis à l'ambassade des Philippines d'où elle venait. Elle indiquait aussi qu'elle était intéressée par des recommandations d'hébergement.

    — Tu ne la prendrais pas en coloc avec toi ? demanda Léo.

    — Ah non, répondit Héléna. Je tiens à ma solitude.

    — C'est dommage que tu n'aies pas voulu faire de coloc avec nous, tu sais. On se serait bien marré.

    — Je vous aurais harcelé pour que vous fassiez la vaisselle et la lessive, et vous m'auriez jetée dehors avant la fin de la semaine.

    — Ah oui ? Tu es comme ça ?

    Héléna descendit questionner Christine sur une éventuelle adresse pour la nouvelle secrétaire. Christine lui donna une liste de studios meublés. Heureusement que la solidarité fonctionnait à plein chez le personnel d'ambassade. Héléna avait trouvé son appartement ainsi. Elle ne voulait pas de colocation. Après avoir parlé aux autres toute la journée, elle était contente d'être seule pour lire ou regarder des vidéos. Elle sortait parfois avec eux le week-end, mais n'acceptait les invitations que ponctuellement. Elle savait aussi que le milieu des coopérants était très festif, voire complètement déchaîné dans certains endroits, et elle tenait à sa réputation de fille sérieuse.

    — Cette Sophie, tu as des détails ? demanda Christine avec intérêt.

    — Non, mais elle a de sérieuses compétences, dit Héléna en mimant une imposante paire de seins.

    Christine se mit à rire.

    — Bon, pour les potins, on verra plus tard.

    — A propos de potins, c'est vrai que Hugo Fohl voulait faire l'armée mais n'a pas pu ?

    — Quelle idée ! Bien sûr que non. Il sort de droit, master en relations internationales. C'est sûr qu'il est rigide et qu'il aboie ses ordres au lieu de parler, mais c'est tout. Même s'il a les cheveux coupés très courts, ça ne veut pas dire que c'est un soldat refoulé.

    Christine regarda autour d'elle, et se pencha vers Héléna pour chuchoter :

    — Il paraît, en revanche, qu'il est proche de nos services de renseignement. Qu'il fait partie des gens infiltrés qui remontent des rapports sur la situation locale, et pas seulement au Quai d'Orsay si tu vois ce que je veux dire...

     "Un espion », pensa Héléna avec un frisson. Elle n'était pas naïve et savait que les ambassades en étaient remplies, mais elle ne pensait pas en côtoyer un d'aussi près.

    — Je ne t'ai rien dit, insista Christine.

    — Bien sûr.

    — Et sur toi, on ne sait rien, comment ça se fait ? Je n'ai rien trouvé de croustillant à dire sur toi.

    — Tu veux un détail croustillant ? J'ai un père et une mère.

    Christine éclata de rire.

    La nouvelle secrétaire, Sophie, arriva le surlendemain pour se présenter. Elle ouvrait de grands yeux naïfs et s'extasiait d'être dans un royaume, ce qui était « tellement plus romantique que la République des Philippines ! » Elle était ravissante avec ses boucles blondes et sa silhouette sculpturale. Léo et Thibaut la dévoraient des yeux. Puis elle renversa le café, bloqua la photocopieuse et fit choir les dossiers dont toutes les feuilles volantes s'éparpillèrent dans le couloir.

    Héléna et Gabriel soupirèrent.

Les ambassades sont remplies d'espions (terminé)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant