Hugo et Héléna étaient au cœur d'une forêt primaire, dont les arbres atteignaient facilement dix mètres de haut. Les plus hauts pouvaient allègrement atteindre les cinquante mètres dans cette jungle, mais pas en montagne où se trouvaient les deux Français. Il y avait quantité de plantes rampantes et de lianes, et il était facile de trébucher et de se blesser. Hugo espérait que Héléna éviterait les pièges car il ne voulait pas abandonner sa mission pour lui porter secours. Il était persuadé qu'elle n'était pas familière du milieu.
Son intuition s'avéra juste. Elle n'était pas accoutumée à la marche en pleine jungle, qui plus est avec du relief. Elle dérapait régulièrement sur les rochers et se prenait toute la végétation en pleine figure. Elle avait les mains en sang à force d'écarter les feuilles piquantes de son chemin. Elle ne se plaignait jamais, ce que Hugo apprécia. Il aimait que les gens soient stoïques face aux difficultés, comme il l'était lui-même.
Hugo, contrairement à Héléna, se déplaçait souplement. La végétation semblait s'écarter devant lui. Il devait son habileté à sa brève mais intense expérience en Guyane, quand il avait assisté à l'entraînement du GIGN. Même en suivant les gendarmes de loin, cela avait été l'épreuve du feu.
Hugo jeta un coup d'œil en arrière. Héléna, toute rouge sous l'effort, restait indécise devant la pente qu'il fallait descendre. Il fit quelques pas en arrière et lui tendit la main. Héléna rougit plus encore, mais accepta sa main pour descendre.
— Merci, dit-elle.
— Vous voulez faire une pause ?
— Non.
— On va quand même faire une pause, répliqua Hugo, ennuyé. Vous avez besoin de souffler.
Il réalisa que sa voix était très autoritaire. Héléna redressa le menton.
— Si c'est pour moi, c'est inutile !
— Ne soyez pas têtue !
— Arrêtez de me donner des ordres !
— Je suis votre supérieur !
— Non, vous ne l'êtes pas ! Je ne suis pas un soldat à vos ordres, ni même une civile à vos ordres !
Elle était furieuse. Hugo leva la main pour faire redescendre la tension, pestant intérieurement contre le caractère volcanique de la jeune fille ; il ne la connaissait pas sous ce jour.
— Très bien. On continue.
Ils cheminèrent sans se parler pendant un moment. Hugo songea qu'il devrait calmer son irritation et ses soupçons. Même s'il était dérouté par la présence d'Héléna, il devait maîtriser son mauvais caractère. Il reconnaissait qu'il n'était pas doué pour les relations sociales, qu'il ne savait pas y faire pour être apprécié. Malgré tous ces défauts, dont il avait conscience, il avait eu l'impression que la jolie volontaire sous ses ordres le jugeait favorablement, qu'elle le comprenait même.
Où en était leur relation, à présent ? En bas du ravin ?
Ils marchèrent encore plusieurs heures. Hugo tendait régulièrement la main à Héléna dans les passages difficiles et s'abstenait d'élever la voix. Un silence qui n'était pas inconfortable avait fini par s'établir entre eux.
— Est-ce qu'il y a des animaux dangereux dans cette forêt ? demanda Héléna d'une voix hésitante, comme si elle n'avait pas envie de connaître la réponse.
Hugo sourit, amusé malgré lui.
— Non. Ce que vous verrez le plus, ce sont des grenouilles et des insectes.
— Ah bon. Il n'y a pas de serpents ?
Hugo réfléchit quelques secondes avant de parler, car il ne voulait pas l'alarmer.
— Si, bien sûr. Mais vous n'en verrez sûrement pas. Ils ont encore plus peur que vous...
Héléna pâlit un peu.
— Ça m'étonnerait, murmura-t-elle.
Hugo s'empêcha de rire, car il ne voulait pas qu'elle croie qu'il se moquait d'elle. Ce n'était de toute façon pas le moment de parler des pythons et autres espèces sympathiques.
— Tout ira bien, assura-t-il.
Héléna le regarda avec une attention déstabilisante.
— Vous n'êtes pas un vrai bureaucrate, en fait. Vous faites semblant.
— Non, je ne fais pas semblant. Mais je dois connaître plusieurs terrains différents. Ça fait partie du travail.
Héléna le scruta en silence quelques instants. Il se demanda ce qu'elle voyait, ce qu'elle pensait. Il aurait donné cher pour le savoir.
Elle dit seulement :
— On devrait repartir.
Hugo hocha la tête et reprit sa marche. Il se sentait déçu malgré lui. Il se dit qu'il devrait profiter de sa compagnie pour essayer de mieux la connaître. Seulement, sa concentration sur la mission devait passer avant le reste, et il ne pouvait pas éparpiller ses priorités.
Bientôt il s'arrêta sur une crête rocheuse et désigna la vallée en-dessous d'eux.
— Padang est droit devant nous. Et je crois que j'ai de la chance. Je vois une grande maison, trop belle pour appartenir au maire !
En contrebas, se trouvait une vaste maison blanche aux volets verts, avec une terrasse en surplomb et un chemin de terre qui serpentait en direction du village. Plusieurs grosses voitures étaient garées devant.
Hugo se courba en deux et se rapprocha en contournant la maison par l'arrière. Héléna le suivit en l'imitant. Ils restèrent un long moment à l'affût, cachés sous une végétation plus rase mais bien suffisante pour deux personnes. Hugo ne soufflait mot et ne quittait pas la maison des yeux. Héléna fit de même. Elle se réjouissait certainement d'être assise et s'abstint de poser des questions. Puis Hugo saisit une paire de jumelles et la pointa vers la maison, d'où plusieurs hommes sortaient.
— Yes ! s'écria-t-il entre ses dents.
Héléna regarda en plissant les yeux.
— Sidek est l'un d'eux ?
— Oui, répondit-il avec allégresse.
— C'est une preuve ?
— Qu'il soit devant sa résidence secondaire ? Non. Il faut que je m'approche et que je le photographie avec les autres types. Restez là, ne bougez pas.
Il descendit vers la vallée, se mettant ainsi à découvert. Il restait bien dans l'alignement de la maison. Il ne voyait plus les hommes qui étaient devant et eux ne pouvaient pas le voir. En revanche, cela ne voulait pas dire qu'il n'y avait personne dans la maison en train de l'observer par une fenêtre.
Hugo n'avait cependant pas le choix. Il espéra que personne ne donnerait l'alerte. Il pensa aussi que si Héléna était un agent double, comme il l'avait cru un moment, alors ce serait sa chance : elle se dresserait et avertirait Sidek de sa présence. Mais, pour être franc, il n'y croyait plus lui-même. Il se rapprocha, se courba plus encore et fit le tour de la maison. Arrivé au coin de la terrasse, il resta accroupi un moment, débattant avec lui-même. Que devait-il faire ?
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Les ambassades sont remplies d'espions (terminé)
Phiêu lưuHéléna, vingt-trois ans, nouvelle coopérante d'une ambassade en Asie, ne se doute pas qu'elle va être mêlée à une affaire d'espionnage pleine de dangers. Son supérieur, Hugo Fohl, cherche-t-il à la protéger ou à l'utiliser ? Au programme: sauver un...