8. Héléna: temps de prendre des initiatives

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     Héléna reprit possession de son bureau au deuxième étage sous les exclamations ravies de ses homologues masculins.

     — Je vous jure, soupira-t-elle, c'est à n'y rien comprendre. Il vient me chercher, puis une heure après il me dit de repartir...

     — Oui, on se demande..., dit vaguement Gabriel sans la regarder.

     Léo entra dans le bureau.

     — Vous avez entendu la nouvelle ? La police des douanes vient d'arrêter un Français à l'aéroport.

     Les trois coopérants relevèrent un visage intéressé.

     — Tu sais pourquoi ? demanda Thibaut.

     — Possession de drogue, répondit Léo. Pauvre gars.

     —Qu'est-ce qu'on risque ici, pour possession de drogue ? demanda Héléna qui n'avait pas encore eu le temps de travailler le sujet.

     — C'est la peine de mort à partir de deux kilos, répondit Gabriel en faisant une grimace. On sait combien il avait sur lui ?

     — Trois ou quatre kilos, je crois, répondit Léo avec un air horrifié.

     Les coopérants se récrièrent. Le sort de leur compatriote semblait scellé.

     — Quel est le mode d'exécution ici ? demanda Héléna. Ils pendent ? Ils fusillent ?

     — Ils pendent, répondit Gabriel.

     — Moi je crois qu'ils te font écouter de la musique locale jusqu'à ce que mort s'ensuive, grogna Léo. Il n'y a rien de pire que ça.

     Les jeunes gens s'esclaffèrent, plus par nervosité que réel amusement. C'était terrible d'envisager la peine capitale pour un Français, alors que la France avait aboli la peine de mort depuis 1981, bien avant leur naissance.

     Les coopérants attendirent avec impatience l'arrivée de Buisson, l'assistant de Fohl, pour avoir des détails sur cette arrestation. Ils se disaient que le service juridique allait être mobilisé pour cette affaire, et ils avaient hâte de savoir ce qui allait se passer. Buisson, qui était Dieu sait où, ne regagna le service qu'en fin d'après-midi. Quand Fohl était absent, il semblait être beaucoup moins actif.

     — Est-ce que vous avez des informations sur le Français arrêté ce matin ? s'enquit Héléna, curieuse de cette affaire.

     Buisson eut un geste d'indifférence.

     — C'est un jeune, à peu près votre âge, je crois. Il a été pris à la douane, lors de son départ, avec quatre kilos d'héroïne. Quel idiot ! C'est sûr qu'il ne reverra jamais la France !

     Héléna regarda Buisson avec attention, la tête un peu penchée sous la concentration.

     — Qu'est-ce qu'on peut faire pour l'aider ?

     — Rien du tout, je le crains. Les règles du royaume sont claires. En Asie du sud-est, ça fait des années que la répression des drogués et des trafiquants est à son paroxysme. Beaucoup d'Occidentaux en ont fait les frais.

     — Mais... L'ambassade n'est pas là pour aider les Français quand ils ont des problèmes ?

     Buisson lui envoya un sourire railleur.

     — Vous voulez dire les Français qui respectent la loi ! Et déjà, on n'a pas toujours assez de temps et de moyens pour eux, alors on ne va pas se déranger pour les délinquants. N'ayez pas l'air aussi choqué, mademoiselle. C'est comme ça que ça marche.

     Il quitta le service après avoir déposé la brassée quotidienne de demandes de visas.

     — Oh, sérieux ? dit Héléna à mi-voix.

     Elle était révoltée par cette réaction insensible, surtout en sachant que le Français arrêté était un tout jeune homme. Un jeune homme stupide, certes, mais ça ne valait quand même pas la peine de mort.

     — Je voudrais que Fohl soit là, dit-elle. Cette affaire serait sûrement traitée différemment.

     — Eh bien, on le saura la semaine prochaine, dit Léo en haussant les épaules.

     Héléna réfléchissait. Elle avait lu la presse internationale. Le dernier occidental arrêté pour drogue dans le royaume était un Allemand. Elle se rappelait avoir discuté avec un coopérant de l'ambassade d'Allemagne, Klaus. Il pourrait la renseigner sur ce qu'il fallait faire en pareil cas. Elle se jeta sur son téléphone. Les garçons l'écoutèrent avec de grands yeux surpris lorsqu'elle demanda l'accueil de l'ambassade d'Allemagne, puis à parler avec son homologue au service juridique. Lorsqu'elle eut Klaus en ligne, elle se mit à parler dans la langue de Goethe, et les garçons qui n'y comprenaient rien retournèrent à leurs dossiers en attendant qu'elle ait fini.

     Elle raccrocha, et ensuite se tourna vers les garçons.

     — Je sais ce que je dois faire. Vous voulez bien m'aider ?

     Très intéressés par l'idée de désobéir à Buisson, ils acceptèrent avec enthousiasme.

     Léo lui tapa une lettre officielle de l'ambassade pour l'accréditer comme responsable du service juridique. Puis il imita la signature d'Hugo Fohl, en remerciant le ciel que celui-ci soit en déplacement.

     — Je vais à la prison, annonça alors Héléna.

     — Je t'accompagne, dit Gabriel d'un ton décidé. Si quelqu'un nous cherche aujoud'hui...

     — ... On vous couvre, compléta Thibaut avec un sourire machiavélique.

     Les deux coopérants se rendirent à la prison principale. Le laissez-passer diplomatique, accompagné de leur passeport, leur permit d'être introduit auprès du Français arrêté à l'aéroport.

     Le cœur d'Héléna se serra aussitôt. Il s'agissait en effet d'un jeune homme, vingt-deux ans, qui voyageait en Asie sac à dos. Il était complètement effondré. Après la Malaisie et l'Indonésie, il était entré dans le royaume où il avait passé plusieurs semaines, et son voyage avait pris fin brutalement quand les douaniers avaient découvert quatre kilos d'héroïne dans la doublure de son sac. Il s'appelait Mathis Monod.

     Gabriel et Héléna s'abstinrent de commenter la stupidité du risque pris. Ce qui était fait était fait. Héléna avait été bien conseillée par Klaus, le coopérant allemand, et ne perdit pas de temps.

     — Nous allons vous trouver un avocat local, qui parle anglais. Vous parlez anglais ?

     — Je me débrouille, dit le jeune homme qui avait vraiment l'air anéanti.

     — Tant mieux, parce que personne ne parle français ici. Nous allons contacter votre famille.

     — Il n'y a que ma mère.

     Gabriel nota rapidement le numéro.

     — L'ambassade va tout faire pour vous soutenir, assura Héléna. Gardez espoir.

     Mathis Monod hocha la tête et dit d'une voix étranglée :

     — Merci beaucoup.

     Il n'avait pas demandé ce qu'il risquait. S'il l'ignorait, Héléna ne comptait pas le lui dire.

     Héléna et Gabriel regagnèrent l'ambassade, au moment où Buisson les réclamait à cor et à cris pour une réunion. Ils se joignirent in extremis à Léo et Thibaut, qui levèrent le pouce. Joli timing.

Les ambassades sont remplies d'espions (terminé)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant