7. Hugo: des nouvelles contrariantes

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     Hugo s'était rendu aux Philippines. Le climat et même le paysage étaient sensiblement les mêmes. Aucune surprise.

     Il était assis dans un café et savourait ce moment de tranquillité, loin de l'ambassade. Cependant il savait déjà que son rendez-vous d'aujourd'hui risquait de détruire irrémédiablement sa tranquillité d'esprit.

     Il leva les yeux lorsque l'homme qu'il attendait vint s'asseoir en face de lui. Ils échangèrent un signe de tête.

     Lionel Kominsky était son homologue à l'ambassade des Philippines. Ils étaient en contact par mail sécurisé, mais se rencontraient de loin en loin pour échanger des informations sans oreilles indiscrètes. C'était un aspect que les écrivains avaient décrit fort justement : les renseignements s'échangeaient facilement dans les cafés, dans un endroit neutre où le brouhaha empêchait d'être entendu, où trop de monde circulait pour être repéré.

     Ils échangèrent quelques nouvelles sur l'ambiance politique des deux pays. Les Philippines étaient passées sur le devant de la scène internationale lors de la dernière élection présidentielle. L'homme démocratiquement élu avait tout du bois dont on faisait les dictateurs, et ses premières mesures n'avaient pas été franchement démocratiques. Il était dans le viseur des organisations de défense des droits de l'homme comme Amnesty International et Human Right Watch. Le nouveau Président avait déclaré une guerre personnelle au trafic de drogue : il était prêt à employer les grands moyens.

     Hugo interrogea Kominsky :

    — C'est pour les médias, ou sa position est sincère ?

    — Difficile à dire. Quand l'ONU lui mettra vraiment la pression, on verra s'il tient sa position ferme ou s'il recule comme tant d'autres avant lui.

     Hugo prit une gorgée de soda. La drogue était le fléau de l'Asie du sud-est, et tous les gouvernements avaient adopté plus ou moins une législation restrictive. Là où il se trouvait aussi, il valait mieux éviter de se faire attraper par la police avec de la drogue dans ses poches. La consommation d'un simple joint de cannabis avait valu à un ressortissant allemand une condamnation à sept ans de prison. Cela faisait cher la bouffée.

     La politique intérieure des Philippines n'était pas ce qui préoccupait le plus Hugo. Il aborda le vif du sujet.

    — Est-ce que vous avez des renseignements sur le cartel qui nous intéresse ?

     Kominsky haussa les épaules.

    — Il y a des indices de contacts entre gens haut placés pour faire passer la marchandise depuis le royaume jusqu'aux Philippines. Mais le président n'en souffle pas mot, pas même en « off ».

    — Haut placés à quel point ?

    — Mes indics ont l'air de penser à un membre du gouvernement.

     Hugo en resta coi quelques secondes.

    — Un membre du gouvernement royal ? Sérieusement ?

    — Je sais, ça paraît incroyable, mais certaines pistes mènent au palais. Or personne ne peut incriminer le roi, ce serait ridicule. En revanche, autour de lui, il y a des ministres qui brassent des millions dont ils ne peuvent justifier la provenance. A votre place, j'aurais un œil sur le gouvernement. Enfin, autant que faire se peut.

     Hugo se dit intérieurement que ce serait compliqué. A moins d'avoir un informateur sur place. Un personnel de service au palais, peut-être. Avec l'appât du gain, ce ne serait peut-être pas impossible...

    — Est-ce que le gouvernement philippin est à même de transmettre des informations sur les activités de ses propres trafiquants ?

    — J'en doute, dit Kominsky avec un air las. Le président philippin n'aime pas tellement les valeurs occidentales. Il ne veut pas apparaître comme un allié de l'occident.

     Hugo hocha la tête. Il s'agissait de mauvaises nouvelles, mais cela ne le surprenait pas vraiment. Cette mauvaise ambiance s'était enracinée en Asie depuis déjà une décennie. La coopération qui existait auparavant s'était progressivement dissoute dans les affrontements géopolitiques. Le recul de l'influence occidentale, combattue par la Chine et par le Moyen-Orient, semblait inéluctable.

     Hugo repartait les mains vides de son rendez-vous. Aucune information importante qu'il aurait pu transmettre. Et, de plus en plus, l'impression que sa mission ne menait à rien et lui faisait perdre son temps et son énergie.

     Kominsky le salua et partit. Hugo se laissa aller sur son siège.

     Son téléphone portable le sortit de sa torpeur. Numéro inconnu, encore une fois.

    — Hugo Fohl, annonça-t-il en décrochant.

    — Monsieur Fohl ? C'est Gabriel Flament.

     Il fallut deux secondes à Hugo pour remettre le nom, auquel il ne s'attendait pas. Pourquoi diable un des volontaires civils l'appelait-il ? Et comment avait-il eu son numéro, celui-là ?

    — Que voulez-vous ?

    — C'est à propos d'Héléna Michel, monsieur.

     Hugo se redressa.

    — Oui ?

    — Elle a été mutée au service de saisie informatique ce matin. Un responsable est venu la chercher ce matin.

    — Quoi ? Mais de quel droit ?

    — C'est ce qu'on se demandait. L'ordre ne vient pas de vous ?

    — Bien sûr que non, rétorqua Hugo avec irritation. Qui est venu la chercher ?

    — Je n'ai pas retenu son nom, je ne l'avais pas vraiment vu avant. Le responsable du service informatique, a-t-il dit. Il a ajouté qu'il avait besoin de toutes les compétences et il a ordonné à Héléna de le suivre.

    — Je voudrais bien voir ça ! s'exclama Hugo. Je m'en occupe, monsieur Flament. Merci de m'avoir averti.

   — Merci à vous...

     Hugo coupa la communication et appela aussitôt l'ambassade. Lorsque Christine décrocha, il ne lui laissa pas le temps de débiter « Bonjour, vous êtes à l'ambassade française... » et demanda immédiatement à être mis en relation avec le service informatique.

— Dubern ? Fohl à l'appareil. Qui vous a autorisé à prendre ma coopérante ?

—  Mais..., commença Dubern d'une voix précautionneuse. Nous sommes affreusement en retard dans la saisie des statistiques, et j'ai entendu dire que la petite se débrouillait bien...

— C'est exactement pour cette raison qu'elle est dans mon service, et elle va y rester. Alors vous la rapatriez illico au service juridique. Si vous manquez de petites mains, prenez un autre de mes coopérants.

— Ecoutez, Fohl, je la garde cette semaine et je vous la renvoie après. La saisie informatique, ce n'est quand même pas le goulag !

     « Pas loin », songea Hugo, qui avait entendu les employés de ce service se plaindre du travail répétitif et abrutissant.

— Pas question, trancha-t-il. Vous la renvoyez d'où elle vient aujourd'hui même. Héléna Michel est à moi !

     Il raccrocha. Puis il se dit qu'il aurait dû tourner sa dernière phrase différemment. Cela allait faire jaser dans les bureaux jusqu'à l'année prochaine...

Les ambassades sont remplies d'espions (terminé)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant