10 - Héléna: dans la prison

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            Héléna rencontrait régulièrement la mère de Mathis Monod. Celle-ci passait le plus de temps possible auprès de son fils. Le jeune homme avait décidé de plaider non coupable de possession de drogue. Il voulait soutenir devant le juge que la drogue avait été placée à son insu dans son sac. Héléna ne fit aucun commentaire, mais elle avait des doutes sur cette défense. Les juges des pays d'Asie ne l'avaient que trop entendue de la part des touristes qui souhaitaient ramener un « souvenir de vacances », à un prix bien moindre qu'en Europe. Mathis Monod déclarait qu'il n'avait jamais consommé de drogue. Héléna le regardait en imaginant être un juge local : un Blanc à cheveux longs, routard, flanqué de sa mère qui ressemblait à une hippie de l'époque « flower power » à San Francisco... C'était mal parti. Mais elle se rappelait qu'elle avait un diplôme de lettres, pas de droit international, et donc aucune voix au chapitre. Il restait à espérer que l'avocat ferait bien son travail de défenseur.

     Elle savait aussi que le quai d'Orsay œuvrait en coulisses pour que la peine de mort ne soit pas prononcée, au nom des droits de l'homme et de la Convention internationale de l'ONU. Pourvu que l'influence française soit assez forte...

     Elle avait parfois des conversations prudentes avec les journalistes de France 2 qui suivaient l'affaire. Celle-ci avait un certain retentissement en France. Tant mieux, c'était une pression supplémentaire pour que les affaires étrangères s'investissent pour leur compatriote. Mais si Héléna restait mesurée dans ses propos, ce n'était pas toujours le cas des médias qui critiquaient vertement les lois locales pour leur sévérité. De quoi indisposer la monarchie et ne pas l'inciter à l'indulgence. Héléna aurait aimé que les Français cessent de se croire supérieurs en tout...

     L'audience préliminaire avec le juge était fixée au lendemain. Héléna demanda à Hugo Fohl la permission de s'absenter pour voir Mathis Monod encore une fois. Elle espérait à la fois lui remonter le moral et lui donner des conseils sur son attitude. Le jeune homme hocha la tête et annonça :

     — Je viens avec vous.

     Héléna fut surprise, mais acquiesça. C'était bon pour le moral de leur compatriote. Il verrait qu'il était réellement soutenu. Ils passèrent les contrôles tous les deux. Les gardiens s'étaient habitués aux visites d'Héléna et la saluaient en souriant. Ils regardèrent à peine ses papiers. Hugo Fohl fut scruté avec plus d'attention.

     Une fois passé les gardes de l'entrée, Hugo Fohl lui dit :

     — Je vois que vous êtes une habituée. Je vous remercie au nom de l'ambassade.

     Héléna inclina la tête, tout en se disant qu'elle aurait préféré des remerciements en son nom à lui. Elle le suivit des yeux quand il s'avança dans les couloirs de la prison et vit le frisson d'horreur qui le traversa.

     — C'est terriblement déprimant comme endroit, murmura-t-il. Comment ce pauvre garçon supporte-t-il ?

     Héléna se réjouit de cette marque d'humanité venant de Hugo. Il ne s'était pas fait remarquer pour ses qualités humaines jusque là, mais il avait raison. La prison royale avait un aspect désolé. En outre, elle n'avait même pas le côté moderne des prisons françaises. Elle reflétait plus le sous-développement du pays que son enrichissement récent. Il fallait vraiment être stupide pour trafiquer de la drogue en Asie du sud-est. Il était bien connu que les autorités étaient très sévères et que les conditions de détention étaient très difficiles.

     Mathis était recroquevillé dans la cellule qu'il partageait avec d'autres détenus. Il y avait cet aspect aussi : la promiscuité dans un endroit qui souffrait d'un manque d'hygiène. Le jeune Français avait vraiment l'air déprimé. Son visage s'illumina un peu à l'arrivée de ses visiteurs. Il se leva et s'approcha de la grille. Il n'y avait pas de parloir, donc aucune intimité.

     Après l'avoir salué, Hugo lui demanda :

     — Vous avez besoin de quelque chose ?

     — Une clé pour sortir, répondit-il avec un faible sourire.

     Puis il se reprit :

     — Pardon. je sais que vous n'y pouvez rien. Merci déjà pour venir me voir et me donner des infos. Je me sens très seul. S'il n'y avait pas ma mère et Héléna...

     Hugo hocha la tête.

     — Demain, c'est votre audience préliminaire. Nous saurons ce qu'envisage la justice royale, comme verdict, et cela donnera des pistes à votre avocat pour travailler votre défense.

     — Combien de temps, jusqu'au vrai procès ?

     — L'ambassade essaie d'avancer la date du procès, pour que nous sachions à quoi nous en tenir le plus vite possible. Peut-être ensuite nous pourrons vous rapatrier en France. Mais cela prendra des années. Vous en avez conscience, n'est-ce pas ?

     Mathis Monod fit un signe de tête.

     — J'en ai conscience, mais c'est dur à accepter quand on est innocent, vous savez.

     Héléna vit Hugo arborer une expression sceptique.

     — Innocent ? La drogue était dans votre sac.

     Le jeune Français leva une figure brûlante.

     — Je suis innocent. Je n'ai jamais vu cette drogue. Quelqu'un l'a mise dans mon sac. Je suis même sûr de savoir qui c'est.

     — Qui donc ?

     — Quelqu'un qui obéissait au ministre de l'intérieur, Sidek.

     Hugo sembla se figer sur place. Au bout de quelques secondes, il se tourna vers Héléna.

     — Mademoiselle Michel, laissez-nous seuls un instant, je vous prie.

     Il avait l'air si sérieux que Héléna ne songea pas à discuter. Elle s'éloigna dans le couloir.

     Elle attendit longtemps. Puis Hugo la rappela. Elle put parler quelques instants à Mathis, l'encourager pour le lendemain. Cependant le garçon avait l'air un peu perdu. Quant à Hugo, il avait une expression concentrée, comme s'il n'était déjà plus présent.

     Depuis quand pensait-elle à lui comme Hugo tout court ?

     La visite s'acheva. Dans la cour, Hugo lui dit.

     — Je vous demande de ne pas tenir compte des accusations de Mathis Monod, et de n'en parler à personne, pas même avec lui.

     — Certainement, dit-elle, bien qu'elle sentit la révolte monter en elle. Mais ne croyez-vous pas qu'il y a peut-être quelque chose de vrai, aussi incroyable que ça paraisse ?

     Hugo s'arrête pour la fixer.

     — Je m'en occupe. Je ne vais pas faire comme s'il n'avait rien dit. Je vous demande juste, à vous personnellement, d'oublier ça. C'est dans l'intérêt même de Mathis.

     — Oui monsieur, dit-elle du bout des lèvres.

     — Je vous assure que je vais faire ce qu'il faut, poursuivit Hugo. Vous me croyez ?

     Héléna sourit alors.

     — Oui, monsieur Fohl.

     Il était difficile de ne pas le croire quand il avait ce visage si sérieux. D'autre part, Héléna se rappelait les paroles de Christine. Si quelqu'un avait des possibilités que d'autres n'avaient pas, c'était probablement Hugo. Aussi jeune soit-il.

Les ambassades sont remplies d'espions (terminé)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant