1. le rubis du prince noir

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La porte du casier me résiste comme à chaque fois que j'essaie de l'ouvrir. J'ai pourtant suivi les consignes: glisser la carte dans la fente en métal, tourner le loquet sur la gauche, l'abaisser et puis tirer la porte vers soi. Je répète le processus en pestant, mes doigts serrés sur cette putain de serrure. Rien n'y fait. Le casier reste fermé.

Il est dix-sept heures. J'ai rendez-vous dans cinq minutes pour mon dernier cours de la journée et le retard n'est jamais toléré au club. À vrai dire, l'avance est même suggérée. Comprenez: nous nous devons d'offrir le meilleur à nos membres. Au fait, on ne dit pas clients. C'est grossier. Ça sous-entendrait que ces gens déboursent des milliers d'euros pour taper dans une petite balle jaune, une activité somme toute ordinaire, mais qui revêt une importance toute particulière pour ces bourgeois.

Pour moi, le tennis est un sport simple. Il suffit d'un filet, d'une raquette et d'une balle. On court, on renvoie, on attaque, on défend, on transpire et à la fin, on gagne ou on perd. C'est une histoire de détermination, d'entraînement et d'intelligence. On ne rentre pas sur un court pour négocier un contrat juteux ou perdre les quelques kilos qu'on a accumulés pendant les fêtes de fin d'année. Du moins, c'est ce que je pense.

J'en suis là de mes réflexions quand Gabriel fait une entrée dramatique dans les vestiaires. Il fait voler la porte devant lui en déclarant:

- Encore une main au cul et je démissionne!

Gabriel est ridiculement beau. Il a ce teint hâlé et frais des gens qui ont passé toute leur vie sur la côte d'Azur et un sourire qui éblouirait même un aveugle. Comment le décrire sans préciser qu'il est le seul des employés du club que j'apprécie? J'aime son énergie. Il me fait rire à longueur de journée. Gabriel est aussi affreusement cynique:

- Quand est-ce que ces vieilles morues saisiront que je suis gay et que je préférerais m'envoyer leurs maris plein aux as?

Il pose ses mains sur ses hanches en soupirant. Je voudrais tant rester avec lui pour passer en revue l'ensemble des membres du club et les critiquer, mais si je ne me pointe pas bientôt sur le court numéro quatre, je suis à peu près certaine de perdre mon job. Gabriel lève les yeux au ciel:

- Ton casier est encore bloqué?

Je hoche de la tête. Gabriel se propose de m'aider après avoir râlé. Ça lui ressemble. Il approche et me pousse de l'épaule pour accéder à la porte qui résiste encore. Les gestes du Français sont habiles et précis. Il travaille ici depuis deux ans. Autant dire qu'il en a vu d'autres. En un rien de temps, il parvient à ouvrir le casier.

- T'es un génie, Gabriel!

- Je sais!

Gabriel claque bruyamment sa main sur mon cul en éclatant de rire. Ce n'est pas la première, ni la dernière fois qu'il se le permet. Il retrouve un peu de son sérieux en se débarrassant de ses baskets salies de terre battue:

- T'es pas sensée donner un dernier cours?

- Si, si...

J'enfile la robe blanche que je porte lorsque je veux faire bonne impression sur un nouveau membre. Celle qui me donne des airs de finaliste de Wimbledon.

- Je crois que je l'ai vu à la réception.

- Laisse-moi deviner... homme, cinquantenaire, grisonnant, une tenue complète qui vient d'être achetée et un sourire de mec qui n'a pas travaillé de sa vie?

- Nan. On est plus sur du fils à papa aujourd'hui.

- Je vois le genre. Arrogant?

- Sûrement oui, mais sportif aussi.

Careful what you wish for // Max Verstappen - Lando NorrisOù les histoires vivent. Découvrez maintenant