S'adapter

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Point de vue d'Iris : moment présent.


Cela va faire bientôt 6 mois que je séjourne au palais du roi Ménèl et la rumeur révélant que je suis le champion favori du roi s'est vite répandue. Pourtant, personne ne semble prêt à me considérer comme un adversaire raisonnable. Les servantes jasent sur mon dos tandis que les coursiers et les écuyers médisent. Et je ne vous parle pas des courtisans dont la langue de vipère doit être écorchée à force de persifler sur ma personne. Qu'ils aillent tous en enfer, pensais-je tandis que j'avance d'un pas rapide vers le bureau des chefs de la sécurité.

Une fois devant la porte en bois polie, je pénètre dans la petite pièce sans frapper. Très sobre avec ses rares meubles classiques, seul un tapi émeraude donnait un peu de chaleur à la pièce austère. Heureusement que Lucile, ma femme de chambre attitrée, a pris l'initiative de redonner vie à cet antre masculine...

_Jamais tu ne toque avant d'entrer ? me sermonne Batiste en levant les yeux de son journal.

_Tu sais bien que non. Pourquoi prends-tu encore la peine de demander, répliquais-je en souriant de toutes mes dents.

Durant ces derniers mois consacrés à m'entraîner le plus efficacement possible en prévision du tournoi, j'ai eu l'occasion de faire plus ample connaissance avec mes deux « ex-ravisseurs ». Les premières semaines, je me suis efforcée à ne pas baisser le masque impénétrable que je maintiens en permanence en public. Mais rapidement, je fus contrainte d'abattre mes barrières. En effet, les deux chefs de la sécurité royale se révélèrent d'excellentes compagnies et digne de confiance. Nous nous sommes liés d'amitié spontanément. Et je ne regrette vraiment pas cette nouvelle complicité.

Après tout, c'est sûrement l'une des premières fois que j'ai l'occasion de construire une relation normale avec mon entourage. D'aussi loin que je me souvienne, je n'ai jamais entretenu de réels rapports avec les autres. J'ai toujours été quelqu'un d'entreprenant, d'imaginatif et d'une force de caractère sans pareils. Petite fille, je préférais m'inventer mes propres amis imaginaires plutôt que m'accommoder à la présence d'autres enfants. Je les trouvais stupides et incapables de canaliser leurs émotions pour se rendre productif. Puis il eut la mort de ma mère.

Je fus contrainte de subvenir à mes besoins à l'année de mes 11 ans seulement. J'ai travaillé jusqu'à mes 12 ans dans une écurie comme fille-à-tout-faire, avant d'être chassée  sans plus de considération. Les mois qui suivirent furent les pires de ma vie. Seule, affamé et assoiffé, je n'étais rien de plus qu'un vagabond que l'on fuyait comme la peste. Mais je les comprenais, je devais certainement puer la crasse et les guenilles que je traînais sur moi n'ajoutaient en rien à mes charmes. Je ne me pris en main qu'à mes 13 ans. Ce fut ce jour-là que j'entrepris mon premier vol : un vulgaire chapardage sur un stand de fruit. Cela n'avait rien de spectaculaire. Je ne l'ai fait que pour survivre. Puis je suis devenu de plus en plus douée. Passant du marché aux boulangeries et épiceries, puis à de grands magasins et institutions, pour enfin viser des banques ou palais. A 16 ans, je concluais mes premiers contrats avec de grandes familles étrangères. A 17 ans à peine, me voici une personnalité reconnue...

Alors me retrouver ici en tant qu'invité au palais, je peux vous assurer que je n'aurai jamais cru cela possible. Et plus précisément, dans le bureau des responsables de la sécurité, absolument aucune chance.

_Cela t'arrive de mettre un peu d'ordre dans cette pièce ? demandais-je avec un regard désapprobateur.

Toute la pièce est recouverte de papiers répartis en inégales tas et de nombreux bouquins superposés les uns sur les autres, formant des piles grossièrement équilibrées. Il n'y avait pas à dire, Alain et Batiste croulent sous le travail.

Survivre dans l'arèneOù les histoires vivent. Découvrez maintenant