Chapitre 2 : Un roi perdu.

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  Un homme est assis en face de son bureau, sur un confortable divan capitonné aux dorures finement sculptées, dos au mur. Cet individu est noblement vêtu, habillé d'une belle chemise de soie noire agrémentée d'une cravate rouge, d'un veston gris  où des motifs géométriques de teintes dorées sont brodés ainsi que d'un long paletot écarlate fait de satin et d'une culotte de velours bleue. Même si l'homme semble issu d'un haut lignage et qu'il ne paraît posséder aucun problème d'argent comme c'est le cas généralement des individus de basse extraction, il semble souffrir intérieurement. Un sentiment de culpabilité mêlé à de l'épouvante et de la tristesse s'est emparé de lui et ce depuis hier. Plongé dans ses pensées, il se frotte le nez puis le front, un geste pouvant être interprété chez lui comme un signe de son chagrin intense. Il semble aussi fatigué comme le montre les cernes bleutées sous ses yeux. C'est comme si il était éreinté par sa vie si mouvementée et par son sentiment de faute qui renaît de manière incessante dans son coeur. L'individu est perdu dans ses réflexions si envahissantes et il se pourrait qu'il n'ait plus la capacité physique d'émettre le moindre mot ou même une seule syllabe. Plongé dans une confusion sans cesse renouvelée par le fait qu'il est inquiet et préoccupé par le sort de sa fille, il ne se rends pas compte tout de suite, qu'en réalité,  il tenait énormément à son enfant. Maintenant, il est trop tard pour avoir des remords ou pour s'excuser car le mal est fait.

  Ulbricht, tourmenté par l'image de sa fille qui ne cesse d'apparaître dans son esprit, ne pouvait se résoudre à poser les yeux sur la masse de parchemins qui s'accumulaient sur son bureau. Il était conscient d'avoir mal agi envers Artémise et le regrettait amèrement mais il ne pouvait se faire pardonner ni même se chercher des excuses. Il avait planté un couteau dans le coeur de sa fille et l'avait bien enfoncé pour lui faire comprendre qu'il ne l'aimait pas et que d'une certaine façon, il ne pouvait pas assumer l'entière responsabilité de son existence. Il avait prononcé ces mots qui avaient eu un pouvoir dévastateur sur la relation entretenue avec sa fille si on pouvait appeler «relation» l'ensemble des regards teintés d'amertume qu'il lui avait jeté au cours de sa vie. Le monarque voyait en la jeune fille le même air qui l'avait rendu amoureux de sa mère bien que l'ancienne reine ne ressemblait en rien à son enfant, celle-ci ayant les cheveux couleur ailes-de-corbeaux et les yeux marrons. Cela avait toujours conduit Ulbricht a se demander à chaque instant de sa vie, quelles pouvaient bien être les causes de l'apparence somme toute anormale de sa fille. Dans les premiers temps et peu après la mise au monde de la petite princesse, il avait songé qu'Artémise était atteinte d'une maladie rare ayant pour conséquence de doter le sujet de traits physiques si singuliers. Le monarque avait toujours médité sur la question, ne découvrant jamais d'autres explications rationnelles qui le satisfasse. Il avait feuilleté moult livres d'Histoire à la recherche de rois, de reines ou de princesses munies de ce type d'apparence si exceptionnelle mais ne trouvant aucunes justifications ou explications plausibles, il avait rangé les ouvrages sur leurs rayonnages respectifs en admettant que l'adolescente était un être hors-du-commun aux yeux du monde... 

   Peu après la naissance de l'enfant, il s'était même rangé du côté de certains druides-magiciens qui émettaient à cette époque, l'hypothèse que les dieux et les anciennes divinités leur envoyait un signe incompréhensible aux yeux des mortels, un signe ayant prit l'apparence de la jeune princesse, faisant possiblement d'elle, une élue choisie par les déités de Bealtainne pour accomplir de grandes choses. Néanmoins nul ne savait déchiffrer la signification ou la symbolique qu'il y avait derrière. Pas même les plus érudits des prêtres ni même le plus talentueux des druides ne pouvaient élucider ce mystère. Après plusieurs années de questionnements et de doutes, ceux-ci avaient fini par cesser de croire en cette théorie farfelue.

Même si cette supposition lui revenait en tête à cet instant présent, Ulbricht continuait d'avoir du mal à y croire, préférant largement se concentrer sur les propos qu'il avait tenu à l'égard d'Artémise hier après-midi Ses allégations de la veille ne constituaient qu'une face visible de l'iceberg, iceberg symbolisant l'histoire de sa relation avec l'héritière, une relation plus que toxique, l'homme ayant été autrement plus blessant, plus insultant et grossier avec elle durant son enfance. Il n'avait presque pas agi quand de nombreux nobles s'étaient efforcés d'éliminer celle-ci. Malgré le fait qu'une bonne partie d'entre eux aient été attrapés et exécutés sans autres formes de procès et en dépit du fait que la plupart des enquêteurs aient été tués peu après avoir mis en état d'arrestation les hobereaux concernés, Ulbricht était intervenu bien trop tardivement étant donné que ses devoirs royaux avaient accaparés l'entièreté de son temps et donc, de sa vie. Il ignorait aussi que plusieurs de ses amantes étaient dans le coup, ce qui constituait une espèce de déni face à la réalité. Il ne connaissait qu'une partie de la vérité et bien qu'étant le roi, il ignorait beaucoup de choses sur ce qui se tramait à la cour...

Les Fables des Cinq Mondes - Tome I : La princesse vagabonde.Où les histoires vivent. Découvrez maintenant