Héléna fut appelée par Hugo dans son bureau. Après avoir rangé sa robe et avoir dû se lever de bonne heure, elle avait l'impression d'être Cendrillon de retour au travail après avoir passé la soirée à être traitée en princesse. Sauf que l'ambassadeur n'était pas son prince charmant. Héléna avait un peu regretté qu'il n'y ait pas eu moyen de danser à la réception. Cela lui aurait plu. Mais hélas, il ne s'agissait que de parler, un verre à la fin. Plus british que french...
Hugo Fohl la fit asseoir, ce qui était une première. Elle se demanda confusément ce qu'elle avait fait de mal, avant de se rassurer.
— Vous avez discuté un moment avec le Ministre de l'intérieur, je crois ?
Héléna acquiesça.
— Mathis Monod vous a parlé de lui ?
— Oui. Il m'a redit qu'il le soupçonnait d'être responsable de son arrestation.
— Il vous a donné une raison particulière ?
- Pas grand-chose. Apparemment, Mathis a fréquenté sa fille quelques jours. Il a croisé le père à leur résidence. La rencontre a été assez froide.
Mathis avait employé d'autres mots, plus brutaux. Le ministre l'avait regardé comme s'il était un insecte, indigne de sa fille, et lui avait demandé de partir. Mais cela relevait de la vie privée du Français. Pourquoi cela intéressait-il Hugo Fohl ?
— Vous a-t-il dit qu'il s'était senti menacé par le ministre ?
— D'une certaine manière...
Héléna commençait à se sentir mal à l'aise. Elle n'était pas là pour raconter à Fohl ce que Mathis lui avait confié. C'était de l'indiscrétion pure et simple. Bien sûr, elle voulait aider Mathis, mais jusqu'où pouvait-elle aller ?
Hugo la dévisageait avec attention, comme s'il tentait de lire dans ses pensées.
— Comme vous, je veux aider Mathis.
— Il a dit que l'héroïne ne lui appartenait pas. Dans ce cas, il n'y a pas ses empreintes dessus, ni son ADN. On doit pouvoir le prouver, non ?
Hugo eut un sourire sans joie.
— Vous regardez trop « Les experts ». Ce n'est pas ainsi que ça marche ici. La police a des moyens plus limités.
Héléna fit un geste d'impuissance. Hugo la dévisagea et se mit à parler lentement, en pesant ses mots.
— J'ai des renseignements défavorables sur Sidek. Mais aucune preuve à avancer, ni pour arrêter ses agissements, ni pour aider Mathis Monod. Je ne renonce pas, cependant. J'ai besoin de votre aide. Mathis Monod vous fait particulièrement confiance, puisque vous avez été la première à l'aider. S'il pouvait vous raconter tout ce qu'il a vu et entendu quand il fréquentait sa fille, il y aurait peut-être un élément intéressant. Un élément que même Monod ne soupçonne pas.
Héléna hocha la tête. Elle se sentait un peu étourdie. Elle avait envie d'aider, mais sans vraiment voir ce qu'elle pouvait faire. Elle se rappelait ce que Christine lui avait dit sur Hugo Fohl. Il était un genre d'espion. Est-ce qu'il était sincère en disant vouloir aider Mathis ? Ou est-ce qu'il poursuivait un autre but que lui seul connaissait ? Peut-être voulait-il juste nuire au Ministre de l'intérieur, et peu importait ce qui arrivait à un jeune Français qui s'était trouvé au mauvais endroit au mauvais moment...
Héléna craignait de causer plus de mal que de bien si elle intervenait. La vie de Mathis Monod était en jeu, toutefois. Il risquait une très longue peine de prison pour quelque chose dont il était innocent. Et il y avait autre chose : elle faisait confiance à Hugo. Elle le croyait sincère.
— Mathis m'a dit qu'il avait croisé de drôles de personnages à la résidence du ministre.
— Drôles, dans quel sens ?
— Des types qui ressemblaient à des caricatures de gangsters. Mais je n'en sais pas plus. Je vais essayer d'avoir des détails.
— Merci, mademoiselle Michel, dit gravement Hugo. Et je vous adjure de ne parler à personne de cette conversation.
— Bien sûr.
Héléna quitta le bureau plongée dans ses réflexions. Elle ressentait un mélange de stress et d'excitation. Elle était au courant d'un secret, qu'elle devait protéger précieusement. Elle était aussi en position d'aider la justice et de venir en aide à un compatriote injustement en souffrance. Parallèlement, elle avait du mal à croire à la culpabilité d'un éminent membre du gouvernement royal. Est-ce qu'un ministre, qui plus est à un poste clé de l'Etat, s'abaisserait à ces méthodes de mafieux ?
Ou alors, peut-être qu'un éminent ministre, justement, pouvait se croire au-dessus des lois, se croire intouchable. Et alors, se permettre de balayer ainsi un jeune Français sans valeur, sachant qu'il croupirait en prison pendant des années, en criant son innocence alors que personne ne le prendrait au sérieux...
C'était angoissant quand même. Elle ferait mieux de se plonger dans ses dossiers de renouvellement de passeports.
Dans le bureau des volontaires civils, quelqu'un avait branché une enceinte Bluetooth reliée à un portable, et Tina Turner hurlait « You're simply the best ! ». Les garçons chantaient en chœur. Héléna aimait cette chanson euphorisante et se joignit à eux. C'était une vieille chanson, 1989 ou 1990, mais elle faisait un bien fou. Elle donnait de l'énergie et de la confiance. Tina Turner elle-même avait eu besoin de confiance et d'énergie après avoir été presque brisée par son mari Ike Turner.
Quand la chanson s'acheva, Héléna avait repris confiance elle aussi.
— C'était super ! lança Thibaut, essoufflé. On devrait faire ça plus souvent !
Héléna approuva, les yeux brillants. Le renouvellement des passeports attendrait un peu. Elle devait voir Mathis Monod. Après tout, Tina Turner venait de lui dire « you're the best », alors elle pouvait y arriver...
— Je dois filer, dit-elle à Léo.
— Tu vas prendre du retard sur ton avance, railla-t-il.
— Je reviens bientôt.
— Si Fohl te cherche ?
— Dis-lui que je bosse. De toute façon, je bosse toujours.
— Très bien. Mais ne reviens pas avec des sacs de shopping !
— Misogyne !
Héléna saisit son sac et disparut dans le couloir.
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Les ambassades sont remplies d'espions (terminé)
AdventureHéléna, vingt-trois ans, nouvelle coopérante d'une ambassade en Asie, ne se doute pas qu'elle va être mêlée à une affaire d'espionnage pleine de dangers. Son supérieur, Hugo Fohl, cherche-t-il à la protéger ou à l'utiliser ? Au programme: sauver un...