15- Hugo: conversation avec un serpent

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            Hugo commençait à croire que sa mission avançait dans la bonne direction. Il commençait à recueillir des renseignements précis. Même son contact à la DGSE paraissait excité, et il en fallait beaucoup pour exciter le briscard blasé qu'était le colonel Ravel. Un pseudonyme, bien sûr.

     Héléna avait eu de la bouche de Mathis une information, anodine en apparence, qui s'était révélée de premier ordre. Lorsque le jeune homme était au palais ministériel, se promenant main dans la main avec la fille du ministre Sidek, il avait croisé celui-ci avec deux individus qui lui avaient fait une curieuse impression. L'impression que des hommes de ce genre ne devraient pas se trouver là. Mathis avait décrit « l'air dangereux, le révolver mal dissimulé sous la veste, le costume mal taillé », et il avait déclaré qu'il saurait les reconnaître. Héléna avait répété tout cela à Hugo. Celui-ci s'était rendu auprès de Mathis pour lui montrer des photos.

     C'étaient des photos confidentielles, qui n'étaient pas censées sortir du coffre-fort, qui avaient été prises au téléobjectif. Des photos qui représentaient des membres notoires des cartels asiatiques. Mathis en avait identifié un. Le ministre Sidek connaissait donc personnellement un trafiquant international. C'était un bond en avant dans l'enquête.

     Hugo devait passer à l'étape suivante. Il avait pris contact avec un des domestiques de Sidek. Il y en avait pléthore : c'était la coutume auprès des familles riches du royaume. Hugo avait proposé de l'argent en échange d'une surveillance active. Le domestique, Rajat, avait une grande famille à charge, et il avait accepté.

     Hugo devait le voir ce jour pour lui confier un micro à placer dans le bureau du ministre.

     Alors qu'il attendait dans un café, Hugo eut la surprise de voir l'objet de ses soupçons venir à sa rencontre.

     Le ministre Sidek lui fit un curieux sourire.

     — Vous êtes bien le chef du département juridique à l'ambassade de France, n'est-ce pas ? Je regrette, votre nom m'échappe.

     Hugo s'était levé, surpris de trouver le ministre ici. L'homme était suivi de ses gardes du corps. Les témoins regardaient leur ministre avec surprise et respect. Certains prirent des photos. Hugo imagina fugacement les posts sur Instagram.

     — Oui, je suis Hugo Fohl, Votre Excellence.

     Il s'inclina à demi. La courtoisie d'abord.

     — C'est cela, veuillez me pardonner. Vous vous rendez souvent à la prison royale, me disent les autorités.

     Hugo se dit que le puissant ministre avait l'air un peu inquiet.

     — En effet, je rends visite à notre pauvre compatriote incarcéré pour trafic de drogue. Il est très déprimé.

     — Il doit être vraiment au désespoir pour que vous lui rendiez visite de manière si rapprochée. Ce n'est pas dans les habitudes de votre service.

     — Il supporte très mal l'enfermement, Votre Excellence, assura Hugo. L'ambassade doit être à ses côtés.

     Sidek lui envoya un regard perçant, qui semblait fouiller ses pensées.

     — Fort bien. Continuez votre mission, monsieur Fohl. Bonne journée.

     Le ministre lui tendit la main. Hugo la serra.

     Après son départ, Hugo se rassit, songeur. Sidek avait des soupçons. Sur lui personnellement, ou sur n'importe quel représentant de l'ambassade qui rendrait visite à Mathis Monod ? Sur Héléna aussi, ou sur la mère du jeune homme qui restait fermement installée dans la capitale ?

     Hugo se dit qu'il ne devait pas devenir paranoïaque. Sidek l'était pour deux.

     Le domestique de Sidek se fit attendre mais finit par se montrer, au moment où Hugo allait renoncer.

     — Rajat, enfin.

     L'homme paraissait effrayé.

      — Le ministre était dans le secteur.

     Hugo fit le geste d'écarter son inquiétude.

     — Il ne vous suivait pas. Soyez rassuré. C'est une coïncidence.

     Il lui tendit le micro dans une boîte. La dernière génération de ces mouchards était légère et minuscule, on pouvait la confondre avec une tache sur le bois.

     — Vous pourrez le placer sur son bureau ?

     Rajat se tortilla mais finit par hocher la tête.

     — Mais je veux plus que la somme prévue.

     Hugo soupira et commença une négociation serrée. Il n'avait pas un budget illimité. Il ne travaillait pas pour la CIA.

     Puis il rentra chez lui pour passer des coups de téléphone sur son appareil sécurisé. Il rendit compte des dernières avancées. Il s'attendait à ce que son interlocuteur lui manifeste son approbation, mais apparemment il avait encore beaucoup à apprendre.

     — Cela ne progresse pas assez vite, Fohl. A ce rythme-là, toute la ville de Marseille sera morte d'overdose avant qu'on puisse interrompre la filière.

     — Je ne peux pas vous annoncer des progrès que je ne fais pas.

     — Il faut le surveiller de beaucoup plus près. Nous avons des renseignements sur une grosse commande qui serait en préparation dans les montagnes, près de la frontière. Il faut tout faire pour qu'elle ne soit pas embarquée. Ou alors que nous ayons des preuves que Sidek participe à la logistique de l'expédition.

     — Je n'ai pas de baguette magique, rétorqua Fohl en serrant les mâchoires.

     — Non, mais vous pouvez trouver des preuves, des photos, des enregistrements, que sais-je ! Il nous faut des résultats ! Vous m'avez compris ?

     — Parfaitement, colonel.

     Hugo se sentit très désemparé après avoir mis un terme à la conversation. Il ressentait une terrible pression. Pour l'alléger, il devrait sans doute prendre davantage de risques. Et tant pis pour sa couverture. Il allait devoir agir lui-même, et donc s'éloigner de l'ambassade.

     Il envoya un mail à l'ambassadeur pour le prévenir qu'il risquait de faire un déplacement professionnel dans les prochains jours. Il n'entra pas dans les détails car Blanchard n'était pas assez fiable pour avoir accès à ce genre d'informations. Le colonel Ravel l'avait prévenu de laisser Blanchard le plus possible en-dehors de son action. D'ailleurs, Hugo ne lui faisait pas complètement confiance lui non plus. Blanchard était doué pour les relations sociales, mais il semblait l'être beaucoup moins pour garder des secrets d'Etat.

     Quant à savoir où Hugo allait se rendre, il espérait le savoir bientôt, grâce aux écoutes parfaitement illégales qu'il venait de mettre en place dans le bureau de Sidek.

Les ambassades sont remplies d'espions (terminé)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant