Chapitre 10

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Ludmila Mădălina

Elle sentit la lumière lui brûler la rétine quand son geôlier la renversa sur le sol. Ludmila sentait parfaitement la lame reposer contre sa jugulaire, pourtant, la panique ne l'envahît pas. Seul son ventre se noua de peur devant la réaction de son agresseur. Toutefois, elle avait pris l'habitude. Sept ans auparavant, la même scène qu'aujourd'hui s'était répétée encore et encore jusqu'à ce qu'elle trouve un moyen de s'en sortir.

Ludmila sentit couler un filet de sang le long de sa gorge et déglutit difficilement. L'air lui manquait, l'homme compressait sa trachée sans le moindre regret ses yeux sombres plantés dans les siens qu'elle devinait emplis d'effroi.

Elle savait le tueur briseur de cœur dénué d'empathie, mais ce qui la dérangeait à son sujet c'était le petit jeu auquel il jouait avec elle. Ses passages éclairs dans sa vie pour ensuite repartir pour mieux revenir. Lors de son premier enlèvement, elle avait vu un homme prêt à tout pour finir le sale travail. Maintenant, il s'agissait davantage d'un individu tourmenté ne sachant plus quoi faire mais tout aussi dangereux, voire plus.

— Tes yeux, grinça le tueur entre ses dents tout près de sa bouche.

Ludmila prit une goulée d'air tant bien que mal en tentant de saisir les quelques mots que son geôlier prononçait.

— Que. Me. Voulez-vous, questionna d'une voix étranglée la jeune femme malgré la sourde peur qui l'envahissait en remarquant que sa respiration se faisait de plus en plus laborieuse.

La main de l'homme enserrait toujours sa gorge fermement. Perdant soudain son calme, elle se mit à s'agiter violemment. Ses jambes tentèrent d'atteindre son agresseur, peine perdue, il était trop imposant. Il affermit sa prise en se mettant au-dessus d'elle, l'écrasant de tout son poids. Les yeux révulsés, Ludmila ouvrit grand la bouche en hoquetant. Sa respiration se fit saccadée si bien qu'elle se mit à paniquer, le regard affolé. Son cœur battait de plus en plus vite et bientôt, elle perdit la vue. Ses gestes se firent désordonnés, mais plus faibles jusqu'à l'abandon total de ses forces. Elle plongea dans un sommeil profond sans s'en rendre compte et la prise sur sa gorge se fit plus légère.

Quelques heures plus tard, la jeune femme se réveilla groggy, prise d'un terrible mal de tête. Une grimace guère élégante fleurit sur son visage cerné par ses problèmes de sommeil persistants. Elle tenta de mouvoir ses jambes mais une résistance l'en empêcha. Cela l'interpella vivement, si bien qu'elle essaya de bouger ses bras, avec le même résultat. Des griffes cruelles enserrèrent son cœur qui se serra jusqu'à provoquer une douleur sourde dans sa poitrine. Ses gestes se firent violents tandis qu'elle cédait doucement à la terreur. Ses yeux brillaient d'une folie pure, étincelle que Ludmila pouvait apercevoir dans le petit miroir se trouvant face à elle, comme un signe du mauvais présage qui l'attendait.

Ce miroir qui se trouvait dans sa première prison la narguait. Fatiguée de ses efforts ne lui servant à rien d'autre qu'à la rendre encore plus faible, Ludmila laissa ses membres retomber, signe qu'elle abandonnait. Enfin. Cet homme au regard glaçant se déplaçant comme bon lui semble dans le monde sans attirer l'attention avait sa victoire. La jeune femme baissa les bras et ferma les yeux attendant qu'il rentre à nouveau dans la pièce, parfaitement consciente que derrière la porte, le tueur épiait le moindre de ses gestes.

Pourtant, rien ne vint. Elle leva la tête tentant de faire fit de la sourde douleur qui se propageait dans son crâne et observa autour d'elle. Quelques meubles style victorien occupaient le vaste espace où elle ne pouvait évoluer à son plus grand désespoir. Ludmila ouvrit la bouche en pinçant ses lèvres gercées. Un profond soupir quitta la barrière de sa bouche tandis qu'elle sentit ses paupières se fermer, la faisant céder au sommeil qui l'envahissait. Un bâillement lui échappa et alors que Ludmila s'apprêtait à poser sa lourde tête sur l'oreiller, la porte s'ouvrît en coup de vent.
L'homme de ses cauchemars apparut toujours vêtu de noir et ce masque vénitien sur le visage soulignant parfaitement ses traits ciselés mais tout aussi sévères. Sur ses pensées, la jeune femme détourna le regard en se fustigeant violemment. De telles remarques ne devraient même pas traverser son esprit. Cet homme était la raison de tout ce qu'il lui arrivait. Selon les médecins, depuis sa dernière séquestration, des troubles psychologiques s'étaient manifestés causant un dérèglement dans son comportement. Si bien qu'elle souffrait de trouble de la bipolarité mais également de tendances suicidaires.

Un léger sourire naquît sur son visage, un sourire inquiétant alors que Ludmila se remémorait la fois où dictée par ses pulsions meurtrières elle s'était accrochée à un balcon le jour après sa fuite. Son cœur s'était brisé quand une larme silencieuse et unique s'était écoulée le long de sa joue pâle. La pression au niveau de sa poitrine s'était faîte intolérable et faisant fit des supplications des témoins lâcha le rebord qu'elle tenait d'une poigne ferme. La jeune femme s'était sentie libérée au moment où elle était entraînée en arrière par la gravité sous les cris d'épouvante des spectateurs. Une tentative vaine qui avait marqué son départ chez le psychologue. Les séances n'avaient toutefois rien arrangées. Cet état était en perpétuel mouvement, balançant vers une insensibilité inquiétante à un soudain trop plein pouvant mener à des actes inconsidérés.

— C'est l'heure de ton repas.

La voix grave de son geôlier la tira de ses sombres pensées. Ludmila leva des yeux craintif dans sa direction s'attendant à voir l'arme qui mettra un terme à son calvaire dans une de ces mains halées. Peine perdue, rien d'autre que le plateau contenant le nécessaire pour qu'elle survive, allongeant le délais avant sa mise à mort. Un tremblement secoua son corps sous les yeux froids et brillants du tueur dont elle ignorait tout. La jeune femme se força à répondre en tentant de faire disparaître la peur viscérale qu'elle ressentait envers cet individu.

— Cela risque de poser problème si je reste allongée ainsi, railla Ludmila en craignant déjà le coup qui allait arriver sans prévenir.

Elle ferma les yeux d'anticipation mais seul le silence répondit à sa provocation. La jeune femme ouvrit les paupières avec un soupçon d'hésitation. Ludmila se trouva face à son geôlier dont le regard ne s'était pas détourné de la silhouette de la jeune femme. Le fourreau à sa ceinture cachait l'arme qui se trouvait quelques instants plus tôt sous la gorge de la prisonnière sur le point de cisailler sa peau si délicate. Ludmila lança un regard méfiant dans sa direction immédiatement suivit de celui du meurtrier. Un rire rauque et guttural s'échappa de la gorge de ce dernier. La jeune femme sentit ses joues brûler mais endigua rapidement cette sensation contradictoire.

— N'ai crainte, je ne te ferai rien, dit-il tout de même de nouveau sérieux en s'asseyant à ses côtés, faisant pencher le matelas vers lui.

Un nouveau silence s'installa, rapidement comblé par le raclement de gorge de l'homme. Il semblait se forcer à parler comme s'il n'appréciait pas prendre la parole. Pourtant, c'était grâce à cette dernière qu'il parvenait à asseoir sa souveraineté.

— Je souhaite seulement parler.

Les mains et les pieds toujours écartés, attachés aux quatre coins du lit, Ludmila haussa un sourcil sous la stupeur des propos du tueur briseur de cœur. C'était une nouveauté qu'elle ne connaissait pas. Était-il souffrant ? se questionna-t-elle sans se rendre compte que son expression faciale parlait pour elle.

— Cela peut sembler bien étrange après ce que je t'ai fait subir, continua-t-il sans se répartir de la froideur que la jeune femme lui connaissait.

Ludmila hocha la tête sans le dissuader de s'exprimer.

— Sache que je ne suis absolument désolé pour ce que je te fais, la prévint-il en la fixant de ses yeux noirs dont on ne distinguait pas les pupilles. De toute manière, les confidences que je vais te faire seront suivies de ta mort.

La jeune femme déglutit face à la légèreté dont a été dite cette simple constations. Comme si cette dernière n'avait aucune importance à ses yeux. Elle était seulement une victime parmi tant d'autres. Son cœur se mit à battre rapidement lorsque le sombre visage de son geôlier se tourna lentement dans sa direction, recouvert de son masque de velours noir aux arabesques dorées.

— Ne t'inquiète pas, pour ta mort je tâcherai de faire vite, l'informa-t-il d'une voix rauque sans la quitter un instant du regard, semblant capter ses moindres réactions. Mais en tirant bien entendu un certain plaisir.

Ces derniers mots firent frissonner la moindre parcelle de sa peau. Ses cellules se rétractèrent devant le sombre dessin que dessinait l'homme. Ludmila ne parvint à articuler le moindre mot de peur qu'il ne la punisse comme lors de sa première séquestration. Rester des heures suspendue au plafond, le fouet pour seule compagnie et les plaies béantes sur son dos comme seul avertissement. Cela lui avait largement suffi. Le froid s'empara de son être à cette pensée, si bien qu'elle sera les lèvres en se remémorant ses consignes.

— Règle n°1 : Ne t'avise pas d'hurler sinon tu le regretteras. Règle n°2 : Ne bouge pas de cette chambre au risque de passer par la fenêtre. Règle n°3 : Ne me répond pas si tu ne veux pas visiter la cave.

Trois consignes que Ludmila avait évidemment bien vite ignoré. Mais de ses actes en avaient découlé de nombreux châtiments plus terribles les uns des autres. Allant de la torture physique à celle psychologique en passant par la crainte de ne plus revoir sa famille en vie. Oui. Cet homme avait touché aux personnes qu'elle aimait le plus sans la moindre vergogne. Les larmes lui montèrent douloureusement aux yeux lorsqu'elle repensa au sourire chaleureux de sa mère, à la poigne de son père rendue calleuse par le travail acharné qu'il fournissait. Et sa sœur... Une fille,  de quatre ans sa cadette dont la seule présence faisait rayonner la pièce. Une famille qu'elle avait perdue au moment même où elle avait osé ouvrir sa bouche pour tenir tête à l'homme qui se trouvait face à elle.

— Tu m'écoutes ? demanda son geôlier en penchant dangereusement la tête sur le côté.

Ludmila se fustigea intérieurement. Il avait perçu son égarement.

— Je vois bien que non, continua-t-il d'une voix doucereuse semblant annoncer une suite sanglante.

La jeune femme riva son regard dans le sien où elle crut percevoir un soupçon d'humanité avant que ses lèvres n'esquissent un rictus trop doux pour être sincère. Il s'approcha davantage en posant une main gantée sur son ventre. Surprise par le geste délicat de l'homme, Ludmila sursauta en tentant de recula son bassin. Peine perdue, les chaînes grincèrent retenant ses mouvements.

— Dis-moi ce qui te taraude, la poussa-t-il d'un ton inspirant la confiance.

La jeune femme était de plus en plus perdue. Était-elle en train de rêver ? Le tueur briseur de cœur tentait-il de l'amadouer pour mieux la tuer par la suite ?

— Je ne te demande pas de me faire confiance, dit-il en caressant son avant-bras le visage dénué d'émotion. Seulement, je suis la dernière personne que tu verras dans cette vie. Je pense que ça te feras du bien de te confier.

Ce fut le mot de trop. Ludmila sentit la colère prendre possession de son corps. 

— Vous vous fichez de moi ! craqua-t-elle. Vous me retenez contre mon gré et vous jouez au psychologue ensuite ! Vous êtes fou ma parole !

Le tueur se contenta d'écouter sans réagir puis inclina de nouveau la tête. Un sourire naquit sur ses lèvres pleines tandis qu'il fixait la jeune femme troublée sans cligner des yeux.

— Voilà ce que je souhaite de ta part, répondit-il. Que tu te laisses aller ! 

L'incompréhension gagna une énième fois Ludmila. Elle secoua la tête refusant de participer à cette comédie.

— Allez voir ailleurs si j'y suis !

Un soupir déçu quitta la gorge de l'homme qui se leva sans plus tarder. Il se retourna, le regard froid et sa main effleura une dernière fois la joue empourprée de fureur de sa prisonnière.

— Dommage. Moi qui voulait te laisser une chance de réviser ton sort.

Le tueur briseur de cœur quitta la pièce d'un pas lourd, contrairement aux jours précédents, s'attendant sûrement à ce que Ludmila le rappelle, désespérée.

— Partez, murmura cependant celle-ci sans penser aux conséquences qui pourraient en ressurgir. PARTEZ !

— Je ne crois pas non.

Le timbre profond de son geôlier emplit la pièce alors qu'elle fermait les yeux pour tenter d'oublier l'image de sa famille accrochée dans le salon de la maison, leur cœur sortit de la cage thoracique. Sa maison, ses proches, tous anéantis par sa faute. La culpabilité avait alors occupé son esprit, son cœur, à un tel point que cela l'avait fragilisée mentalement. Son comportement était devenu au fil des jours de plus en plus instable et dangereux pour autrui comme pour elle. Elle avait failli être internée mais après une consultation médicale, ce moyen avait semblé extrême par rapport à ses symptômes. Néanmoins, entre crises le jour et cauchemars la nuit, Ludmila ne trouvait que très rarement la paix.

Un pincement au cœur, la jeune femme repensa à cette période tandis que des larmes s'amoncelaient qu'elle réprima malgré elle. Les pleurs, ne faisaient pas partis de son quotidien. Ils y étaient proscrits.

Ludmila, le visage envahit par une haine brûlante, jeta un regard mauvais en direction du tueur.

— Que me voulez-vous ? cracha-t-elle avec hargne.

— Que vous me parliez.

Un rire mauvais s'échappa de sa bouche alors que l'homme ne la quittait pas un instant de ses yeux sombres.

— Si je résume vos propos, débuta Ludmila le cœur battant à tout rompre. Je dois vous considérer comme un prêtre et me confesser.

L'homme resta un instant à fixer sa captive qui passa la langue sur ses lèvres sèches.

— Vous vous rendez compte que c'est paradoxal !

La voix de la jeune femme montait dangereusement dans les aigus tandis que son geôlier s'approchait lentement du lit en déclarant d'un ton profond en faisant rouler son prénom sur sa langue, si bien que la jeune femme sentit la chaleur s'emparer de son corps :

— Je ne vois pas où tu veux en venir, Ludmila. Éclaire-moi donc.

Sa poitrine se souleva brusquement lorsque le regard de braise du tueur caressait sa peau, pourtant recouverte d'une fine nuisette mauve. Sans le quitter des yeux, elle bougea discrètement son bassin pour endiguer l'étrange sensation l'habitant. Son geste ne passa toutefois pas inaperçu. Les pupilles noires de l'homme se dilatèrent et Ludmila vit son souffle devenir haché et sa tête s'incliner sur le côté, un sourire énigmatique aux lèvres.

La jeune femme s'attendît à une remarque aussi doucereuse que déplacée, pourtant, la courbure de ses lèvres resta inchangée et sa bouche ne s'ouvrît pas. Il attendait une réponse. La gorge sèche, la jeune femme déglutit difficilement.

— Je... (Ludmila se racla la gorge avant de reprendre :) vous êtes un tueur, et moi, une victime. Je ne peux pas me confier à vous comme à un homme d'église !

Le timbre excédé de la jeune femme fit faner doucement le rictus du visage masqué de son geôlier. Il passa une main le long de sa gorge avant d'effleurer la courbure de son masque vénitien.

— Je suis navré. Je ne vois toujours pas, susurra-t-il sans la quitter du regard alors que sa poitrine se soulevait rapidement.

Ludmila sentait sa patience s'amoindrir, nonobstant, elle savait ce qui l'attendrait si elle répondait à sa provocation. Ainsi, prenant une profonde inspiration et priant pour que cela prenne rapidement fin, elle lui dit d'une voix qui se voulait calme et posée :

— Vous n'êtes pas un saint, le prêtre est censé l'être.

Cette fois-ci, ce fut un rire sarcastique qui s'échappa lorsque la jeune femme eut finie, s'attirant un regard interrogateur toutefois farouche de la part de cette dernière.

— Des saints ! railla-t-il sans rien ajouter de plus en secouant la tête. Des saints...

Piquée dans sa fierté, Ludmila sentit ses joues être envahies d'une brûlante chaleur. Toutefois, alors qu'elle était sur le point de rétorquer, il lui coupa la parole :

— Tiens-tu de tels propos parce que tu t'es confessée ? s'enquit le tueur, l'air sincèrement curieux.

Ludmila ne dit rien mais détourna ses yeux de ceux de son interlocuteur devenus insoutenables.

— Aaaaah ! Je vois, dit-il en soupirant doucement. Les séquelles de ta première capture. Sache que je suis navré de ne pas avoir pu accéder à tes demandes. Mais vois-tu, une de tes requêtes a été exaucée.

La mine faussement réjouie, l'homme s'arrêta un instant promenant son regard sur elle, essayant de deviner si elle comprenait.

— Je t'ai laissée partir ! reprit-il, tel un coup fatal achevant d'anéantir son adversaire déjà à terre, les bras levés vers le ciel.

Le Chant du CygneOù les histoires vivent. Découvrez maintenant