22 - Héléna: déterminée malgré tout

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     Hugo prit le chemin de la jungle. Héléna le suivit. Elle était déterminée à rester, même si elle n'avait pas envisagé un accueil pareil. Ils marchèrent un moment, jusqu'à être au milieu de nulle part, selon l'avis d'Héléna en tout cas.

     Hugo restait très froid avec elle, comme s'il la soupçonnait encore. Il lui lançait parfois des regards de côté. Peut-être s'attendait-il à ce qu'elle dévoile sa vraie nature de Mata-Hari et qu'elle l'attaque par surprise. Cela ne faisait rien : elle saurait bien lui montrer qu'elle n'était pas son ennemie. Ni une alliée des trafiquants. Cela lui semblait hautement ridicule que quiconque puisse s'imaginer une absurdité pareille !

     — Où est-ce qu'on va ? demanda-t-elle avec hésitation.

     Hugo se retourna pour la foudroyer du regard.

     — On va loin de toute habitation. C'est dangereux, ici.

     — Ce n'est peut-être pas la peine de s'éloigner autant, riposta Héléna qui commençait à bouillir intérieurement. Sinon on va se perdre.

     — Vous croyez pouvoir me dire ce que je dois faire ? lança Hugo, irrité.

     — Je pourrais ! Notamment vous dire de saluer quand vous entrez un bureau, ça ne vous ferait pas de mal !

     — Quoi ?

     — Vous pourriez aussi parler poliment aux autres !

     Hugo la regarda, écarlate sous l'indignation.

     — Je n'arrive pas à décider si vous êtes très courageuse ou très stupide !

     — Comme je suis celle qui a tout plaqué pour venir vous aider, je suis sûrement très stupide !

     Héléna se détourna, tremblante de colère.

     Ils reprirent leur marche, puis Hugo s'arrêta brusquement.

     — On va attendre qu'il fasse jour pour rejoindre Padang, dit Hugo. Nous devons rester cachés pour la nuit.

     — Entendu, répondit Héléna.

     Il s'assit contre un arbre et lui signifia de faire de même.

     — Nuit à la belle étoile, annonça-t-il sèchement.

     Héléna ne dit rien. Elle ne formula pas une plainte. Elle se promit intérieurement qu'elle ne serait pas un boulet pour lui, et elle était résolue à se faire discrète et efficace. Elle ouvrit son sac à dos et lui tendit un sandwich.

     — J'en ai plusieurs, dit-elle. C'est pour vous.

     Hugo hésita, puis accepta l'offre en la remerciant d'un signe de tête.

     — Comment êtes-vous arrivée ici ?

     — J'ai pris le bus local.

    Elle savait que sa présence n'était pas passée inaperçue car il y avait peu d'occidentaux dans le secteur, mais elle n'avait pas eu le choix.

     — Comment saviez-vous que je serai là ? demanda-t-il, encore soupçonneux.

     — Je ne le savais pas. J'ai demandé si on avait vu un Européen et on m'a indiqué ce village. Cela aurait pu être une fausse piste.

     — Vous savez que l'ambassade va vous chercher partout.

     — Pas du tout. Blanchard m'a dit de prendre ma journée et j'ai appelé pour dire que je prenais la semaine. Il a ri.

     — Décidément, il a un faible pour vous, persifla Hugo.

     — Oui, il y a des gens qui m'aiment bien, figurez-vous ! riposta-t-elle.

     Hugo termina son sandwich en silence. Puis il l'interrogea sur la fameuse conversation où Blanchard, par légèreté, avait dit exactement ce qu'il ne fallait pas au Ministre de l'intérieur déjà soupçonneux. Héléna répéta tout, mot pour mot. Puis Hugo lui redemanda son récit mais dans l'autre sens, en partant de la journée en cours et en remontant le temps.

     « Il veut vérifier que je ne me contredise pas », se dit Héléna. « Il ne me fait vraiment pas confiance. » Elle s'efforça de ne pas se sentir vexée. Lorsqu'elle voulut à son tout l'interroger sur ce qu'il avait découvert dans son déplacement, il répliqua qu'il ne pouvait rien lui dire.

     Très bien, message reçu.

     Dire qu'elle avait immédiatement voulu se précipiter à son secours en comprenant qu'il était en danger ! Et pour finir, il allait très bien et il la soupçonnait, elle. Dans quel pétrin était-elle venue se fourrer...

     Après que Blanchard l'eut ramenée chez elle, elle avait appelé Gabriel au bureau, et l'avait prévenu qu'elle allait s'absenter.

     — Toi aussi ? Mais enfin, qu'est-ce qui se passe ici ?

     — Rien. Ecoute, Blanchard lui-même m'a dit de prendre du repos, parce que j'ai fait un malaise devant lui aujourd'hui. Je compte sur toi pour répéter ça aux curieux qui poseront des questions.

     — Ok, avait dit Gabriel, très sérieux. Mais où vas-tu?

     — Je ne peux pas te le dire.

     — Oh non, pas toi aussi ! Ça suffit d'un espion dans le service, tu ne crois pas ?

     — De qui parles-tu ? demanda-t-elle en jouant la surprise.

     — De Fohl évidemment !

     — Bientôt tu vas me dire que toi aussi, tu es un des espions de l'ambassade, soupira Héléna. Bref. Je dois faire un truc, et je dois le faire seule.

     — Tu vas te trimballer seule dans le pays ? C'est dangereux !

     — Pas du tout. Dans cette dictature, c'est moins risqué qu'en France !

     Gabriel n'avait pas protesté. Il savait qu'elle avait raison. Le taux de criminalité était très bas, bien plus bas qu'en Europe.

     — A quel moment je donne l'alerte ?

    — Dans cinq jours, avait-elle dit solennellement.

     Elle s'apprêtait à raccrocher quand elle avait ajouté, sur une impulsion :

     — Autre chose : si l'ambassadeur vient faire un tour par ici, envoie Sophie lui porter une tasse de café.

     — Elle va la lui renverser dessus, prévint Gabriel, avec un rire perceptible dans la voix.

     — J’y compte bien !

     Après cette conversation, elle s'était sentie prête pour l'aventure !

     Elle voulait vraiment rejoindre Hugo et lui apporter son aide. Elle voulait voir si elle en était capable. Elle s'était dit que, au pire, elle le chercherait en vain et se couvrirait de ridicule. Mais cela ne faisait rien : le ridicule ne tuait pas, comme elle l'avait déjà appris dans le passé...

     Le dos collé à un arbre, tout en ressassant ces dernières vingt-quatre heures, elle finit par s'assoupir doucement. Même les yeux fermés, elle sentait sur elle le regard de Hugo, qu'elle devinait méfiant. ...

     Au matin, son compagnon la secoua par le bras.

     — Il faut y aller.

     Il prit son téléphone, regarda ses cartes et annonça :

     — En passant par la montagne, Padang n'est pas loin. C'est un tout petit village. Si Sidek s'y trouve, il ne devrait pas être trop dur à localiser.

     Héléna se prépara à souffrir pendant la marche, et à souffrir en silence.

Les ambassades sont remplies d'espions (terminé)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant