13 - Descente aux enfers

350 67 23
                                    




Qu'est-ce que j'avais cru ? Que ça ne se verrait pas ? Que toute cette mascarade, ce « déguisement », comme l'avait appelé mon oncle, allait passer inaperçu ?

— Tae, mon chéri...

— Laisse-moi !!

J'entendis les pas de ma mère s'éloigner, et j'enfouis mon visage dans mon oreiller. Le déjeuner chez mon oncle avait été catastrophique. Déjà en rejoignant mes parents dans l'entrée, j'avais vu leurs réactions à ma tenue. Leurs regards s'étaient attardés sur mon minuscule haut qui laissait entrevoir mon ventre, puis sur mon bracelet, et enfin sur mon visage fardé. Ils se turent et ne firent aucun commentaire, toutefois, j'avais remarqué le regard que ma mère avait jeté à mon père. Un regard qui signifie : « il faut qu'on parle ».

Le trajet s'était fait dans le silence, mais en arrivant, c'est le regard belliqueux et hargneux de mon oncle qui s'était posé sur ma personne. Il me toisa de la tête aux pieds, et claqua sa langue contre son palais en grimaçant.

— Qu'est-ce que c'est que ça encore ?! Il n'y a pas de fête nationale, aujourd'hui ! Pourquoi cet accoutrement ?!

Ma mère avait tenté de me défendre au début, en racontant que c'était un jeu avec mes amis, que j'avais perdu un pari, mais ça n'avait pas fonctionné. Mon oncle m'avait cherché durant tout le déjeuner. J'avais fini par choisir de me défendre avec mes propres armes.

— Tu sais, en classe on a appris que dans certains pays, des peuples d'hommes se maquillent. Il y a des tas de gens qui ont des cultures différentes des nôtres, et je ne vois pas pourquoi on serait contraint de tous se ressembler, de tous por-

— QUOI ?!

Ses yeux s'étaient plissés si finement qu'il ne restait qu'une fente sévère et ombrageuse qui me considérait avec dégoût.

— Tu es en train de me dire que tu as délibérément enfilé ces vêtements de drag-queen ?!

Je m'empourprai.

— Ce ne sont p-

— Silence !!!! Tu es dans MA maison ! Je te conseille de fermer ton clapet et de te faire discret ! Tu fais honte à ta famille ! Imagine ce que doivent ressentir tes parents ! Quelle honte d'avoir engendré une chose pareille !

Je sentis les larmes affluer au ras de mes cils, mais je me retins, le cœur lourd. Je savais qu'afficher ma différence me mettrait en danger. Mais je ne pensais pas que ce danger viendrait de ma propre famille. Si mon oncle qui m'avait connu depuis ma naissance, qui m'avait appris à jouer aux échecs et qui m'emmenait nourrir les poules me traitait ainsi, qu'en serait-il des étrangers ?

Il n'y avait pas d'autre solution que de taire cette différence, de l'étouffer au fond de moi afin qu'elle se meure, qu'elle s'éteigne pour toujours.

Cette nuit-là, j'avais pleuré longtemps, en me posant mille questions. Peut-être étais-je né avec une tare ? Est-ce qu'il manquait quelque chose en moi ? Je n'avais pas été fini, j'étais un produit non conforme, une marchandise qui ne convenait pas à l'usage attendu. Je me voyais nourrisson, doté d'une étiquette sur le front stipulant « non conforme ». Comment étaient traités les gens tels que moi ? Nous n'entrions pas dans le moule, et jamais nous ne pourrions trouver notre place. Nous étions contraints d'errer dans le néant, de rester sur le bas-côté, rejeté sans pour autant pouvoir s'intégrer où que ce soit.

Je me relevai en pleine nuit, rageur, et attrapai la robe bleu et blanc dans le fond de mon placard. Je tirai sur le tissu jusqu'à le déchirer en lambeaux, le cœur brisé par la haine qui m'explosait au visage.

Dans un excès de folie, j'attrapai les ciseaux sur mon bureau, et coupai de longues mèches de cheveux châtaines. Je taillai sans me regarder, évitant de peu mes doigts, la main tremblante et la vue brouillée. Sanglotant, je laissai tomber la paire de ciseaux au sol et cachai mon visage entre mes mains, des mèches de cheveux éparpillées autour de moi.

Du fard sur les yeuxOù les histoires vivent. Découvrez maintenant