Chapitre 6

94 12 7
                                        

À l'abris des regards indiscrets et du brouhaha des conversations, les deux garçons s'étaient assis sur un banc dans l'immense jardin de la demeure Laguionie.
Face à eux, la fontaine désormais éteinte, était éclairée par un clair de lune magnifique qui se reflétait sur l'eau.
Ils n'avaient pas parlé depuis qu'ils étaient sortis de la bâtisse. Thomas avait respecté son engagement. Il ne forçait pas Damien à discuter avec lui et se contentait de le laisser souffler en silence. Ce dernier semblait toujours aussi mal au vu des tremblements répétés de sa jambe qui faisait grincer les petits cailloux sous ses semelles.

Damien était toujours sous l'émotion qu'avaient provoqués les mots de son paternel. Entendre dire que personne ne nous aimes fait mal, très mal. Et plus les années passaient plus Damien se demandaient si son père n'avait pas raison à ce sujet.
Il fut le premier à briser le silence en soupirant longuement avant d'appuyer ses coudes sur ses jambes, complètement avachi.

"Si tu t'ennuies tu peux rentrer.
-Je te remercie Damien mais je me sens bien plus à l'aise loin de tout ce rano pano. Le calme est plus agréable."

Intrigué, Damien tourna la tête vers son camarade.

"Le rano pano ?
-Ouais, le bruit, l'agitation...
-Tiens, je ne la connaissais pas celle-là...En tout cas pour moi tu avais l'air à l'aise parmi tous ces gens."

Thomas sourit tristement avant de hausser les épaules et lever les yeux vers la lune.

"Ouais, je sais...C'est ce qu'on attend de moi, d'être agréable, poli...Courtois... J'ai fait ça toute ma vie, rencontrer de nouvelles personnes. Je ne peux pas dire que j'en suis ravi, simplement que c'est une étape non négligeable de "mon ascension sociale".
-Dis comme ça, on dirait que ça te fait chier !"

Le bouclé ne put s'empêcher de rire face au franc parler de son acolyte. Cela fit sourire Damien qui secoua la tête.

"Pour être poli je dirais que oui, parfois cela m'agace tellement que j'aimerai être invisible ! Je suppose que toi aussi tu dois avoir le droit à tout un tas de diners mondains auquel tu vas à reculons ?
-Oui et non. Quand ça me gonfle j'y fous pas les pieds. Faut vraiment que j'y sois obligé, mais quand je peux éviter de faire des ronds de jambes à des cinquantenaires qui ont un balais dans le cul, crois-moi, j'évite.
-Et ton père ne dit rien ?"

Damien secoua la tête. Il se redressa et s'appuya sur le dossier du banc.

"Nan, pas vraiment. Quand il a besoin de moi il me fait venir. Sinon j'ai quartier libre.
-Je t'envie..."

Thomas avait prononcé ces mots d'un air si triste que Damien ouvrit la bouche mais fut incapable de lui répondre. Il fronça ensuite les sourcils avant de se reprendre.

"Tu devrais pas. Y'a rien à envier dans ma situation.
-Alors l'idée que je me fais de ta vie m'a l'air attrayante.
-Crois-moi, si on pouvait échanger je te donnerais ma place.
-Ne crois pas que ma vie est parfaite Damien. Tout comme toi, ou le reste du monde, j'ai moi aussi des problèmes.
-Ils ne m'ont pas l'air flagrants en tout cas."

Le fils Laguionie attrapa sa bouteille posée dans les graviers pour en prendre une grande gorgée. Il tendit ensuite la bouteille à Thomas sans le regarder. Ce dernier secoua la tête.

"Non merci !
-T'as déjà goûté ?
-Hum, non. J'évite l'alcool normalement. La coupe de champagne me suffit amplement."

Damien souffla du nez en souriant avant de boire à nouveau dans la bouteille.

"J'crois que t'aurais du être curé.
-Ah mais le seul problème c'est que je suis athée. Pas sûr que ça fonctionne.
-Bien, on a enfin un point commun toi et moi.
-Ce n'est peut-être pas le seul ?"

Rano Pano [Terraink]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant