8 - Emma

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   Ma mère est tombée du canapé, elle n'arrive pas à remonter sur son fauteuil. Je lui ai fait jurer de ne pas bouger pour qu'elle ne se blesse pas mais je suis inquiète. D'habitude, elle y arrive sans problèmes. C'est pour ça que je me dépêche de rentrer, même si le chemin n'est pas très long.
   Quand j'arrive, je déverrouille la porte en hâte pour trouver ma mère, étendue par terre. Elle n'a pas l'air d'avoir mal quelque part, c'est déjà ça. Je me penche pour l'attraper sous les épaules et la reposer sur le canapé, avant de rapprocher son fauteuil et la soulever à nouveau pour l'installer dedans.
- Tu vas bien ? je demande.
- Oui, ça va, merci Emma.
- Qu'est-ce qu'il t'est arrivé ?
- C'est vraiment bête... J'ai voulu remonter sur mon fauteuil mais quand j'ai attrapé les poignées, j'ai glissé et je n'ai pas réussi à me relever.

   Mince. Il faudra que je voie pour renforcer le grip des poignées de son fauteuil.
- Je suis désolée ma puce, je ne voulais pas te déranger pendant ta soirée...
- Ça ne fait rien maman. De toute façon, j'allais pas tarder à rentrer.
   Je prends les poignées qui servent à diriger son fauteuil roulant et je l'emmène vers sa chambre.
- Tu allais te coucher ?
   Je préfère demander avant de l'amener à sa chambre si jamais elle n'y allait pas.
- Oui, confirme-t-elle. Merci Emma.

****

Lundi

   Ce matin, je me réveille de bonne heure. Je n'ai pas bien dormi samedi soir, j'étais trop inquiète pour ma mère. Mais ce matin, mon père revient de son déplacement professionnel. Il est commercial chez un concessionnaire de voitures, ce qui le conduit – haha, le jeu de mots, je suis comique moi – à devoir souvent se déplacer. En temps normal, il évite quand il le peut mais le gain financier de cette opération était trop important pour qu'il l'ignore.
   Je mets un peu plus de temps à me préparer que d'habitude. Il va faire froid aujourd'hui, mais je n'ai pas envie de mettre un gros sweat ou quoi que ce soit. Finalement, je me rabats sur un petit pull sans manches au motif écossais avec un tee-shirt blanc dessous, ainsi qu'un jean basique.
   Je suis en train de prendre mon petit déjeuner quand mon père arrive. Je suis tellement contente de le voir que je lui saute au cou. Lorsqu'il part, on se sent toujours un peu seules, avec ma mère. Et puis, on galère un peu plus toutes les deux.

****

   Ça a déjà sonné depuis cinq minutes quand j'arrive au lycée. Je cours à la vie scolaire pour récupérer un billet de retard, puis me dépêche de trouver ma salle pour arriver le plus discrètement possible. Sur le chemin, je vois Tristan nonchalamment adossé au mur à côté de la salle, le regard rivé sur son téléphone. Il m'interpelle en chuchotant :
- Emma !
- Tristan ! je lui réponds sur le même ton.
   Mais il prend un visage sérieux pour la suite.
- S'il te plaît, ne dis pas au prof que je suis là. J'ai pas... J'ai vraiment pas envie... Non, je ne peux pas aller au cours. Vraiment. Crois-moi.
   Effectivement, je vois qu'il n'a pas l'air bien : il a les yeux rouges, comme s'il avait pleuré, bu – ou fumé ? J'espère pour lui qu'il n'a pas fait ça, quand même !
- Ça va ? je lui demande.
- Ouais. Va en cours.
   Je n'aime pas du tout son ton, ni le fait qu'il me donne un ordre. Je crois que c'est la raison qui me pousse à dire au prof, dès que je rentre en classe, que Tristan est dans le couloir. Je crois que j'ai des pulsions suicidaires, en fait. Le prof ouvre la porte et passe la tête au travers et repère le brun à qui il fait signe de rentrer en classe. Moi, je me fais toute petite sur ma chaise.
   Tristan pousse un soupir qu'on aurait pu entendre même en Espagne et entre en trombe dans la salle. Il me jette un regard noir qui me fait rapetisser encore plus et balance son sac sur la table la plus éloignée de moi de la salle. Merde, je crois que j'ai fait la connerie du siècle... Tout le long du cours, il reste assis, les bras croisés, le regard loin devant et sans prendre aucune note de ce que raconte le prof, ni paraître écouter ce qu'il dit.
   Il sort le premier de la salle de cours, toujours en m'évitant soigneusement. J'essaie de le rattraper mais je galère.
- Tristan !
   Pas de réponse, il continue à avancer résolument vers la salle du prochain cours.
- Tristan, bordel, attends-moi !
   J'arrive à le rejoindre et attrape sa manche pour qu'il ne s'enfuie pas, mais il se dégage et me toise, un air mauvais sur le visage.
- C'est quoi ton problème, putain ? Je te demande un truc, un seul truc, et toi tu fais le contraire ? C'est quoi ton putain de problème ?
   
Je tremble de tout mon corps, les larmes aux yeux. Je ne l'ai jamais vu comme ça, il me fait peur.
- Je... Je suis désolée mais-
- Mais quoi ?
- Mais tu ne te rends pas compte de comment tu m'as parlé ! Si tu m'avais expliqué, peut-être que je t'aurais laissé foutre ta vie en l'air en dehors des cours. Là, tu m'as donné un ordre, sans m'expliquer pourquoi. Alors ouais, j'ai réagi. Et en fait, non, j'ai menti, je ne suis pas désolée. J'ai fait ce qui me semblait juste, et raisonnable. Je ne te comprends pas.
   A ce moment-là, il rugit et me plaque contre le mur. Je lâche un petit cri de terreur, j'ai l'impression qu'il va me frapper.
- Tu... Je ne t'ai jamais demandé de me comprendre. Merde, j'ai besoin d'air. Laisse-moi tranquille. S'il te plaît.
   Mais du coup, c'est lui qui est obligé de me lâcher pour pouvoir partir. Je reste là un instant, sonnée par son comportement.

****

   Le midi, je me retrouve à manger en face-à-face avec Ayla. Je m'en veux, j'ai l'impression de l'avoir un peu mise de côté alors que c'est ma meilleure amie. Elle m'assure pourtant qu'elle n'avait même pas remarqué.
   Je suis un peu distante, je surveille Tristan qui me paraît bien agité. Je n'ai pas encore raconté à Ayla ce qu'il s'était passé. Soudain, je le vois vaciller, poser son plateau sur une table en se tenant la tête, s'agripper à une chaise et s'écrouler par terre.
   Je me précipite vers lui, je crois qu'il fait un malaise, son visage est tout pâle. Les autres se pressent autour de lui mais d'une voix autoritaire qui ne me ressemble pourtant pas, je leur dis de dégager ou de faire quelque chose d'utile et d'appeler un surveillant.
   Je surélève ses jambes pour faire circuler le sang mais comme ça, je ne peux pas être près de son visage pour vérifier s'il est conscient. Je charge Ayla, qui a accouru avec moi, de tenir les jambes de Tristan sur ses épaules. Je me décale sur le côté et demande :
- Tristan ? Tu m'entends ? S'il te plaît, fais un signe si tu m'entends. Tristan.
   Mince, il fait un malaise avec perte de connaissance ou quoi ? Juste au moment où je commence à paniquer vraiment, ses paupières tressaillent. 

VulnérableOù les histoires vivent. Découvrez maintenant