16 - Emma

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   Je savais que c'était pas une bonne idée. On s'est encore disputés, avec Tristan. (Enfin, il s'est disputé tout seul.) Je sais même pas comment on en est arrivés là. Et maintenant, je crois qu'il ne voudra plus jamais me parler ou me voir. (Moi non plus. Je suis une abrutie.)
   Je m'explique : au lieu de faire nos devoirs en perm, il m'a proposé de venir chez lui. Soi-disant que ce serait plus confortable. Donc, j'ai dit oui. Evidemment, c'était une bêtise...
   On était assis par terre pour faire nos devoirs et la conversation a dévié. Puis, plus de conversation du tout. On était hyper proche, il me regardait intensément et... Je sais pas... J'ai pensé... J'ai pensé que peut-être il avait envie de m'embrasser. Alors je l'ai fait.
   Ouaip. J'ai embrassé Tristan Dixon.
   
Et là... Ben il m'a repoussée. Du coup, pas de papillons, pas de magie, rien. Juste un regard incrédule de sa part et ça :
- Mais qu'est-ce qu'il t'a pris ? Pourquoi tu fais ça ? Je... Emma, tu sais que... Enfin, que je ne t'aime pas comme ça, et puis d'ailleurs, qu'est-ce que tu y connais à l'amour toi ? Et puis tu sais bien que je ne sors avec personne...
   Je suis partie à ce moment-là. Quand il m'a demandé ce que je connaissais à l'amour. C'est vrai, pas grand-chose ; mais en même temps, je sais que quand je le vois mon ventre s'affole, je ris à tout ce qu'il dit, je voudrais être à côté de lui tout le temps... Alors que je ne connais pas beaucoup de lui. C'est son caractère, son petit je-ne-sais-quoi. Et oui, j'ai mal interprété les signes. Et maintenant, je voudrais mourir de honte. S'il vous plaît. Achevez-moi.
   
Pour le coup, c'est pas moi qui ait débloqué – encore une fois – mais c'est moi la fautive. Même s'il n'aurait pas dû réagir comme ça. Parce que je l'ai entendu continuer à parler en me levant, en passant la porte, en priant pour qu'il me rattrape. Mais il ne l'a pas fait. Il n'a pas bougé. Il s'est contenté de me regarder passer la porte en me criant dessus.
   Cool, hein.

****

   Actuellement, je suis au bar, en train de faire mon service et surtout de ruminer tout ça. Tristan avait l'habitude de passer quelquefois quand je travaillais, pour me regarder chanter et me tenir un peu compagnie avant de me raccompagner. Maintenant, je pense pouvoir affirmer sans me tromper qu'il ne viendra plus. C'est pour ça que je peux chanter – sans crainte qu'il ne devine que la chanson lui est destinée – une chanson française puisqu'il ne l'entendra pas et ne pourra pas me demander la traduction. Tourner dans le vide, de Indila. Très à propos, je trouve.

Qui peut bien me dire ce qui est arrivé ?

Depuis qu'il est parti, je n'ai pu me releverCe n'est plus qu'un souvenir, une larme du passé
Coincée dans mes yeux qui ne veut plus s'en aller

Oh non, ne riez pas
Vous qui ne connaissez pas
Les vertiges et la douleur
Ils sont superficiels, ils ignorent tout du cœur

Lui, c'était tout mon monde et bien plus que ça
J'espère le revoir là, pas dans l'au-delà
Aidez-moi tout s'effondre puisqu'il n'est plus là
Sais-tu mon bel amour, mon beau soldat

Que tu me fais
Tourner dans le vide, vide

   Mon service me paraît durer des heures. Je passe tout le chemin du retour, tout le temps que dure ma douche, le temps que je me mette en pyjama, et même que je dîne – à penser à ce que Tristan m'a balancé. "Qu'est-ce que tu y connais à l'amour, toi ?" Qu'est-ce que j'y connais ? Et pourquoi il a ajouté le "toi" ? Il s'y connaît plus que moi, peut-être ? Je décide de prendre un bout de papier pour noter ce que je ressens. Paraît que ça fait du bien.
   Une fois écrite, je fourre ma "lettre" dans une mini enveloppe et sors de chez moi sur un coup de tête. Sans réfléchir, je mets mes chaussures, attrape un manteau parce qu'il fait froid et qu'il est un peu dix heures du soir, et me mets en route vers chez Tristan, bien décidée à lui donner cette putain de lettre.
   A mi-chemin pourtant, je me rends compte de ce que je suis en train de faire. Contrariée, je fais demi-tour et, une fois de retour dans ma chambre, jette rageusement l'enveloppe avec la lettre dans la poubelle. Sans trop savoir pourquoi, je sens les larmes couler le long de mes joues. Je me sens tellement stupide... Je pleure jusqu'à m'endormir.
   En me réveillant le lendemain, je pioche la lettre dans ma poubelle et la défroisse avant de la poser sur mon bureau. Je la rangerai plus tard.

****

   Pourquoi elle vient vers moi, elle ? J'observe Justine qui se dirige d'un pas décidé vers Ayla et moi, son carré roux volant autour d'elle. On la reconnaîtrait entre milles.
- Je suis désolée de te déranger Emma, hello Ayla, comment vous allez toutes les deux ? (Elle est essoufflée d'avoir marché un peu vite. C'est ce qui arrive quand on fume. Bien fait. Non, je ne l'aime vraiment pas.)
- On va bien, décide à ma place Ayla. (Même si on ne va pas bien. Je viens de lui raconter ce qu'il s'est passé hier.)
- Super. Bon, heu, Max fait une soirée demain, et je voulais vous inviter.
- Et pourquoi on irait ? je demande. On est amies avec personne de votre groupe.
- Parce que ça va te changer les idées. Écoute, je sais ce qu'il s'est passé avec Tristan hier. Il... enfin, il m'a raconté. Et je voulais te dire, je te promets, je l'avais averti. Qu'à force de te montrer... des choses qu'il ne maîtrise pas forcément, ça allait déraper. Alors je me dis que la soirée pourrait t'aider à te changer les idées, voir du monde, t'amuser...
- Justine, c'est gentil, je réponds. Mais tu oublies quelque chose, nan ? Max, c'est le meilleur pote de Tristan. Et tu comprendras que je ne veux pas le voir. D'ailleurs je suis sûre qu'il ne veut pas me voir non plus. Ce serait ballot de gâcher la soirée.
- Ah, oui, j'ai oublié de préciser ça ! Tristan ne viendra pas. Il a dit qu'il préférait rester chez lui.
   Ayla me regarde, l'air de dire "ça serait chouette qu'on y aille". Vaincue, je soupire.
- OK... On viendra.
- Super ! s'exclame Justine. A demain les filles !
   Une fois la rousse partie, ma copine se tourne vers moi.
- Elle est sympa, non ?
- Non.

****

   Bon, je dois reconnaître que la soirée n'est pas si mal que ça. Enfin, elle était assez cool jusqu'à ce que Tristan débarque. J'ai voulu partir mais Ayla m'en a empêchée, me disant qu'il ne fallait pas que ma soirée soit gâchée à cause de lui et que du coup, je devais faire comme s'il n'était pas là. Ce que je me suis appliquée consciencieusement à faire. Jusqu'à l'Action ou Vérité.
   
Sans rire, on dirait un truc obligatoire à chaque soirée. Je n'ai pas été à énormément de soirées, mais il y avait un Action ou Vérité à chaque fois. Mais ce coup-ci, ça m'arrange un peu, parce que je vais pouvoir me lâcher un peu et essayer de montrer à Tristan ce qu'il a perdu – ou ce qu'il n'a jamais eu.
   Au bout de quelques tours, un mec qui s'appelle Karim je crois, choisit action. Et je crois que ses potes s'amusent un peu parce qu'il écope du gage hyper original de me rouler une pelle.
   Il se lève et parade entre les canapés jusqu'à se retrouver devant moi. Du coin de l'œil, je surveille Tristan qui, bizarrement, a l'air tout à fait calme. Comme s'il n'avait jamais été jaloux ou protecteur par rapport à moi.
   Hypothétiquement-Karim approche son visage du mien et, plus que de me laisser faire, je décide d'en faire de même tout en jetant un coup d'œil à Tristan en diagonale de moi.
   Au moment où Peut-être-Karim pose ses lèvres sur les miennes et ouvre la bouche pour y mettre la langue, Tristan se lève d'un bond, saute sur le mec, l'attrape par le col et commence à le frapper. 

VulnérableOù les histoires vivent. Découvrez maintenant