12 - Emma

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   J'ai trop mal dormi, cette nuit. J'ai fait des rêves bizarres, et mon cerveau n'arrêtait pas de repasser en boucle la bise de Tristan. Il faut vraiment que j'arrête de me donner de faux espoirs : je ne serais jamais son type de filles, toute banale que je suis.
   Non, mais sérieux !
   Déjà, Emma Hogan : quoi de plus classique comme nom ?
   Ensuite, mes cheveux. Bruns, longs, ondulés et tout secs. On a déjà vu mieux...
   Mon corps : certains le trouveraient moche, d'autres non. C'est kif-kif bourricot (par pitié, dites-moi que cette expression existe. En plus d'être banale, je ne veux pas être stupide). La seule partie de mon corps que je trouve "intéressante" à voir, ce sont mes seins.
   Et puis ma façon de m'habiller... en fait, je n'ai pas de style. Je veux dire, un jour je peux mettre un jogging et un gros sweat et le jour d'après, une jolie jupe et un chemisier. C'est n'importe quoi !
   En réfléchissant à ces questions existentielles, je sors de mon lit et vais m'habiller. Aujourd'hui, je me sens d'humeur de mettre un sweat... Mais je fais un effort et, au lieu d'un pantalon de jogging, enfile un legging noir. J'ai pas envie de me casser la tête, aujourd'hui. Autant par rapport à Tristan que par rapport à moi-même.
   Quand j'arrive au lycée, il est fermé mais il y a déjà quelqu'un devant, en train de fumer tout en mangeant une pomme. Au fur et à mesure que je me dirige vers le banc à côté, je me rends compte que je connais cette personne, parce que c'est Tristan. Tristan. En train de fumer.
   Alors que je m'approche, une expression coupable passe sur son visage, mais il n'essaie pas de cacher ce qu'il est en train de faire, c'est déjà ça. Lentement, je m'assois à côté de lui avec un sourire faux et passe un bras sur le dossier du banc de sorte que je me retrouve très proche de lui. Je plisse le nez de dégoût. Rien que l'odeur m'insupporte.
- Heu... Salut, tente Tristan avec un sourire gêné.
   Je ne réponds pas et me contente de fixer son joint. Quelque chose me dit que la cause de son malaise l'autre jour, le manque de nourriture et ça sont liés.
- Ouais, à ce propos... dit-il. Je peux... expliquer ?
- Je ne t'ai pas demandé d'explications, je réponds sèchement. Tu es grand, à ce que je sache. Je ne suis pas ta mère. (A cette mention, il se crispe.) Je n'ai donc rien à te dire. Sache juste que la prochaine fois que tu feras un malaise où autre chose du genre à cause de ça... Je ne serai pas là.
- Ouais, mais moi, j'ai des trucs à dire. Je veux te donner des explications. (Il chuchote.) Je voudrais que tu me fasses confiance...
   Je chuchote aussi :
- Et moi je voudrais pouvoir te faire confiance...
- Alors écoute-moi.
   Tristan plonge son regard dans le mien. Autour de nous, les lycéens commencent à arriver et cherchent leurs amis.
- Je ne vis pas chez mes parents, commence-t-il. Je n'ai jamais connu mon père, et ma mère... quand j'étais petit-
- Je ne veux pas savoir ce qui est arrivé à ta mère, je l'interromps quand je le vois déglutir et hésiter. Tu me le diras quand tu seras prêt.
   Il hoche la tête.
- Merci. Depuis que j'ai dix ans, je fais des cauchemars. Les trois années qui ont suivi... ce qu'il est arrivé à ma mère, j'étais trop petit pour me rendre compte de ce que ça signifiait. Mais j'ai développé un traumatisme, qui se traduit par ces cauchemars. Et quand je fais des cauchemars... Je suis incapable de penser correctement, de réfléchir ou même de parler aux gens. Le seul moyen pour moi d'oublier ça, c'est les joints. Ouais, je sais, ajoute-t-il quand j'ouvre la bouche pour répliquer. Il y a sûrement d'autres moyens... Mais je te jure, j'ai essayé l'hypnose, l'acupuncture, les psys... Rien n'a marché. Je fais toujours ces putains de cauchemars.
   Je ne sais pas quoi dire. Je n'ai vraiment aucune idée de ce qu'il a pu traverser enfant, mais à côté de ça, mes propres problèmes familiaux à cause des frais de soins de ma mère me paraissent dérisoires.
   Le brun m'interrompt dans mes pensées :
- Je ne veux pas que tu t'excuses. Tu peux avoir pitié, tout ce que tu veux, je te connais. Mais je ne veux pas t'entendre le dire.
- OK... Merde, quoi. Enfin, je veux dire... ça fait quoi, deux, trois mois qu'on se connaît, tu insistes pour savoir chaque partie de moi, et toi... Tu me caches ça. C'est pas du jeu, Tristan.
   En prononçant ces mots, je me rappelle de l'Action ou Vérité de chez Justine. Je crois que j'ai trouvé sa faiblesse, non ?
- Hé, Tristan... je murmure.
- Quoi ?
- J'ai gagné. 

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