J'étais sur le point d'aller voir Tristan à sa table – parce que, quand même, qu'est-ce qu'il fout là ? – quand mon patron m'a appelée pour que j'aille au micro. Je me suis donc dit que c'était pour le mieux, parce que je suis sûre et certaine qu'il croit que je ne l'ai pas vu. Mais presque toutes les chansons que je chante sont visées, racontent un pan de ma vie. J'ai choisi celle-ci exprès. Après, qu'il comprenne ou non le message... C'est plus de mon ressort. Moi, j'ai fait mon max.
Surtout que j'enchaîne avec Pour que tu m'aimes encore, de Céline Dion. Je ne prends pas trop de risques là car s'il ne parle pas français, il ne devrait pas comprendre les paroles.
Mon service se finit après quelques autres chansons insignifiantes. En voyant Tristan passer la porte d'entrée, je ramasse à la va-vite les pourboires ainsi que mes affaires que je fourre dans mon sac à dos, tout en disant au revoir à mon patron.
Je me mets à courir pour rattraper le brun. Une fois à sa hauteur, je lui attrape la manche et me positionne face à lui.
- Qu'est-ce que tu faisais ? je lui demande.
Il bafouille :
- En fait... Je, j'étais venu au lycée à la base, pour m'excuser mais... Je suis arrivé trop tard et tu étais partie. Alors je t'ai suivie, excuse, parce-que je me suis dit que comme ça je connaîtrais ton adresse sauf que t'es pas rentrée chez toi-
- Tu ne t'es toujours pas excusé, on est d'accord hein ? Et puis c'est très chelou de suivre les gens comme ça. J'aurais pu te prendre pour un pervers qui voulait me kidnapper.
Il est nerveux, je le vois. Par réflexe, il passe sa main dans ses cheveux et frotte sa nuque.
- Ouais, ouais... du coup t'es rentrée dans ce bar et comme il est mal fréquenté je me suis dit-
- Que je ne pourrais pas me défendre toute seule en cas de pépin ? Tristan, ça va faire un an que je travaille là, et il ne m'est jamais rien arrivé alors que t'étais pas là. En plus, je sais me défendre seule, merci de la confiance.
- Ouais... enfin, je suis désolé pour aujourd'hui. J'ai merdé toute la journée. J'aurais pas dû te parler comme je l'ai fait. J'ai... (Il hésite.) J'ai mal dormi donc j'ai sauté le petit déjeuner, enfin non je ne le prends presque jamais, parce que sinon je dors moins de temps, et le fait de m'être embrouillé avec toi... Ouais, ça m'a un peu chamboulé alors j'arrivais pas à manger le midi. Et puis... Bref, je suis vraiment désolé Emma.
Ce qu'il me dit n'a aucun sens mais je le comprends. Et j'ai envie de lui pardonner parce c'est cohérent, en fait. Donc je le fais. Même si ça peut être une mauvaise idée.
- C'est pas grave, je chuchote. Ça arrive, des fois.
- Merci.
Brusquement, Tristan change de sujet.
- Tu chantes vraiment bien.
Je ne peux pas m'empêcher de rougir sous le compliment.
- Je... Merci.
- Tu chantes quoi comme type de chansons, généralement ? De celles qui ont un bon rythme, ou celles qui veulent dire quelque chose pour toi ?
- J'aime bien raconter mon histoire à travers les chansons que je chante. Mais si jamais je déprime un jour, je ne vais pas chanter que des chansons dépressives alors j'en chante souvent quelques-unes sans rapport.
- Mmhh, je vois. Et celles en français ? J'ai remarqué qu'il y en avait beaucoup. Tu parles français ?
- Euh non, pas trop, je ris. Mais je connais la traduction de chaque chanson française que je chante.
Soudainement, je me rends compte que je ne sais même pas s'il est sur le chemin pour rentrer chez lui.
- Tu habites où ? je lui demande.
- T'occupes pas de ça, je te ramène chez toi.
Je m'arrête au milieu de la rue.
- Quoi ? s'étonne-t-il.
- Toi tu as le droit de savoir où j'habite mais moi non ? Tu as peur ou quoi ? Tu vois, c'est ça qui m'énerve. En plus, je ne t'ai jamais demandé de me raccompagner. Je suis capable de rentrer chez moi toute seule, je connais le chemin, merci bien.
- Non, je... C'est pas ce que je voulais dire. OK, j'habite dans ce sens aussi, à quinze minutes du lycée dans le quartier des Séquoias.
Waouh. C'est un quartier assez aisé, là-bas ! Tout à coup, j'ai honte du fait qu'il puisse voir où j'habite parce que ce n'est pas du tout le même niveau de vie.
- C'est pour ça que je voulais pas te le dire, Emma... J'aime pas quand t'es mal à l'aise.
Il lit dans mes pensées ou quoi ?!
D'un coup, Tristan change encore de sujet :
- Tu voudrais aller où l'année prochaine ? Tu sais quel métier tu voudrais faire ?
- Ouais... J'aimerais bien aller à la fac du coin, puisqu'elle est bien notée, en cursus scientifique. En fait, je voudrais bien être pompier.
- Mais Emma... Tu sais que c'est dur ? Enfin, il faut être musclé et tout...
- Donc tu penses que j'en suis pas capable ?! je me récrie.
- J'ai pas dit ça. Merde, on est pas foutus d'avoir une conversation normale dix minutes sans s'engueuler !
- Dit celui qui provoque ces embrouilles !
Je l'entend respirer profondément, reprendre son souffle pour se calmer.
- OK. Je me suis mal exprimé. Ce que je voulais te proposer, c'est un deal. Tu m'aides pour mes devoirs, et je t'entraîne pour ton cardio et tout. Je t'ai vue en EPS, tu ne tiens pas un quart d'heure en courant...
- Je sais, merci, je réponds sèchement.
- Si tu n'acceptes pas, je–
- Non, c'est bon. Deal.
- Génial ! Ce que je te propose, c'est une séance de running et une de boxe par semaine. Comme je fais de la boxe, ce sera plus facile pour moi et ça engage tout le haut du corps... En échange, on pourrait se voir le mercredi après-midi pour les devoirs ?
- Ça marche.
Sans que je ne m'en sois rendu compte, nous sommes arrivés devant chez moi. Je dis au revoir au brun sur le pas de ma porte car je ne veux pas qu'il rentre à l'intérieur ; rien n'est rangé.
Quand il se penche pour me faire la bise – pourquoi, Tristan, pourquoi ? –, je sens un frisson me parcourir le corps alors que j'essaie de ne rien montrer de mes sentiments.
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Romance"La vérité, c'est que je suis tombée amoureuse de toi, et j'appréhende ça, mais j'ai aussi envie d'essayer. D'essayer de t'aimer." L'amour ne frappe pas toujours là où s'y attend, Tristan et Emma s'en sont rendu bien compte. Mais l'amour peut aussi...