Vulnérable

9 - Tristan

- Tristan ? Tu m'entends ? S'il te plaît, fais un signe si tu m'entends. Tristan.
   J'aimerais beaucoup lui répondre. Vraiment. Mais je ne peux pas. Genre, déjà, quand je suis tombé comme une grosse merde par terre, j'avais des sortes de fourmis vraiment trop bizarre dans les yeux et tout mon corps était bizarre. Ensuite, maintenant, je crois que si je bouge ou que j'ouvre les yeux, les fourmis vont revenir.
   Au final, j'essaie d'ouvrir les yeux. Tentative qui est accueillie par un soupir de soulagement. Attends, ils sont combien autour de moi, là ? Question qui me motive à ouvrir encore plus les yeux. Le premier visage que je vois, c'est celui d'Emma. Puis je regarde entre mes jambes parce que j'ai l'impression qu'elles sont surélevées, et, Ô comble de la gênance, je vois Bryce Parker adossée à une chaise, mes jambes sur ses épaules.
- N'essaie pas de te relever, me dit Emma. Sinon tu vas avoir un retour de malaise.

   Je hoche la tête. Emma continue de parler :
- Tu as mangé ce matin ?
   Je la vois jeter un coup d'œil à mon plateau intact.
- Non, je réponds. J'ai pas mangé ce matin. J'étais trop en retard.
- Bon bah voilà, c'est sûrement pour ça que tu as fait un malaise. Le manque de nourriture, plus les émotions...
   Je ne lui dis pas que je n'avais pas le temps de manger à cause de mes cauchemars mais que le temps, je l'ai trouvé quand il s'est agi d'aller voir Veger pour un joint – OK, peut-être deux... J'ai trop honte.
   A ce moment-là, une surveillante arrive. Manque de pot, c'est la connasse de service.
- Alors Dixon, on fait encore son intéressant ? me lance-t-elle.
- Il vient de faire un malaise Pauline, répond Emma férocement.
- Oui, oui, bah ça va là, il est réveillé.
- Non, ça va pas trop, tu ne vois pas sa tête ? répond Emma. Ça m'étonnerait qu'il accepte qu'on appelle les pompiers (à ce moment-là, je lui jette un regard qui signifie qu'effectivement, je refuse d'aller chez les pompiers) donc autant le porter à l'infirmerie pour qu'il voie s'il se sent capable de retourner en cours (elle appuie bien sur ces mots).
- OK, vas-y.
   Emma soupire.
- J'aurais besoin d'aide s'il te plaît, Pauline...
- Bah, demande à tes camarades, non ?
- OK, je vais me débrouiller. Merci quand même d'avoir pris Tristan en charge.
   Ma parole, c'est qu'elle est sarcastique la petite ! Elle a du caractère, quand elle prend la situation en mains. Emma commence à donner des ordres aux autres autour de nous, pour m'aider à me relever tout doucement. Je vacille une fois debout, mais ça va.
   La brunette et sa copine Parker me guident jusqu'à l'infirmerie. Emma tente de rester à mon chevet - et, par conséquent, louper les cours - mais je lui fais bien comprendre qu'après ce qu'elle m'a dit ce matin, elle n'a pas intérêt à sécher pour pouvoir être crédible dans ses paroles. En plus, l'infirmière est d'accord avec moi, ça sert à rien qu'elle reste.

****

   Au final, je suis retourné chez moi. Mais à la fin des cours, je me décide à aller au lycée pour voir Emma et m'excuser de lui avoir parlé comme je l'ai fait. J'ai eu toute la journée pour y réfléchir, je sais que je n'aurais pas dû ni la plaquer au mur – grave erreur, j'ai vu qu'elle était terrifiée, j'ai perdu mes moyens – ni lui parler ainsi.
   Mais quand j'arrive, je la vois au loin déjà marcher rapidement dans une direction inconnue. Si jamais je n'arrive pas à la rattraper, je saurais au moins où elle habite. Elle m'a déjà donné l'adresse de son quartier puisqu'on en a discuté un jour mais je ne sais pas précisément où elle habite. On ne sait jamais, ça pourrait être utile.
   Non, je suis pas un psychopathe.
   Au bout d'un moment, on passe son quartier. Je ne comprends pas trop pourquoi Emma ne rentre pas...
   Peut-être qu'elle habite au fond et qu'il y a un chemin plus rapide ? Pourtant, quelques minutes plus tard, elle tourne à gauche dans une rue moins passante et rentre dans un bar. Je décide d'attendre quelques minutes qu'elle ressorte, chose qui n'arrive pas, alors je rentre également.
   Bon, d'accord, peut-être que je suis un psychopathe, en fait.

****

   Je m'assois à une table bien au fond du bar. J'espère que personne ne va me voir. Ce bar est assez mal fréquenté, souvent les mecs en ressortent bourrés et je ne veux pas qu'ils s'en prennent à une jolie fille comme Emma. Je sais qu'elle doit être habituée, mais quand même...
   Eh, mais ça me sort d'où ces manières de prince charmant ?
   Merde. Je crois qu'elle a remarqué mon ombre dans le coin, elle se dirige vers moi. J'espère qu'elle ne m'a pas reconnu... Heureusement, avant qu'elle puisse me voir, son patron l'appelle pour lui dire de surveiller l'heure. Hein ? Elle regarde sa montre puis fait rapidement demi-tour.
   Quelques minutes plus tard, elle sort d'une pièce annexe, vêtue d'une jupe noire et d'un chemisier blanc. Elle monte sur une estrade, sort de derrière les rideaux un micro et branche son téléphone à une enceinte. Elle va chanter ??
   Je me gifle de ma stupidité quand sa voix résonne dans le bar et que les applaudissements de joie retentissent. Apparemment, elle doit faire ça souvent. Je me concentre pour écouter ce qu'elle chante. Je crois que c'est un chanteur français – Mika ? Comme c'est de l'anglais, je comprends les paroles :

When I fall to my feet wearin' my heart on my sleeve
All I see just don't make sense
You are the port of my call, you shot and leavin' me raw
Now I know you're amazing

'Cause all I need is the love you breathePut your lips on me and I can liveUnderwater, underwater, underwaterUnderwater