Chapitre 6

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* Song : Watch de Billie Eilish ou le remix de cette chanson par Bull Beats *

POV AYLAN: 

Les blouses blanches avaient déserté ma chambre, laissant derrière elles un cocktail d'appréhension, de colère, de peur, le tout avec un puissant sentiment d'impuissance. Et dans ce genre de cas, la seule chose qui parvenait à calmer mes nerfs était une clope.

- Je veux descendre fumer, marmonnais-je à mon frère qui pianotait à rythme effréné sur son téléphone. Je n'avais pas besoin de savoir à qui il parlait ni de quel sujet il s'agissait. Il n'y avait qu'une chose qui pouvait autant l'énerver et cela me concernait.

Le son de ma voix éraillée le fit détacher les yeux de l'écran pour poser sur moi un regard glacial, brûlant de remarques moralistes non dites.

- Putain, tu veux te buter, Aylan, c'est ça ? Tu viens d'être admis dans un service de pneumologie, et il n'y a rien de plus idiot que d'aller inhaler le goudron d'une cigarette, s'emporta-t-il.

- Mon corps, mon choix.

- Ta voix, mon fric, répliqua Jimmy.

Je fusillai mon frère du regard. Il n'allait pas céder, pas, parce qu'il tenait particulièrement à moi en tant que personne, mais plutôt à mes cordes vocales qui vibraient joliment à l'unisson. Depuis que nous avions commencé à travailler sur ma carrière ensemble, je n'étais devenu pour lui qu'une source de revenu inestimable. Si le sentiment affectif avait un jour existé entre nous, il avait été le prix à payer pour la célébrité.

Je me retournai dans le lit, tournant le dos à celui qui n'était aujourd'hui plus que mon agent.

- Fais chier avec tes putains de conneries. La moitié de tes prochains concerts ont été annulés, les salles se sont désistées. Je vais devoir appeler Alyssa pour qu'elle s'assure que ton image dans la presse ne s'effondre pas. Un chanteur en train de crever intéresse bien moins.

Jimmy sortit le téléphone déjà collé à son oreille, comme une parfaite extension de son bras, avant que je puisse seulement ouvrir la bouche. Alors que ses pas s'éloignaient dans le couloir, je sentis une larme naître au coin de mon œil. Seul dans ma chambre, je me permis de la laisser glisser le long de ma joue. Au combo toxique de mes émotions, s'ajoutait la culpabilisation. À ce stade, aucune drogue ne pouvait me permettre de planer suffisamment pour que la douleur cesse de s'acharner sur moi. Et la seule chose que j'avais tirée de ces dernières années, c'était qu'écrire la douleur sur du papier était la seule chose qui me permettait d'avancer.

Le sac que Jimmy m'avait apporté était abandonné dans l'entrée de la chambre, je savais qu'à l'intérieur se trouvait mon seul remède. Je me levai lentement, posant un pied après l'autre sur le sol froid. Mon bras relié à des perfusions, j'avançai difficilement, tirant à bout de bras la potence. À ce simple effort, je sentais mon cœur s'emballer, et mes jambes sur le point de se dérober. Je m'adossai contre le mur, tentant de retrouver une respiration normale.

Mon sang battait dans mes tempes. Au bord du malaise, je m'accroupis pour récupérer le sac à dos. La pièce semblait tourner autour de moi alors que j'essayais de me relever. Il ne me fallut pas plus d'une seconde pour me retrouver à même le sol. Dans ma chute, je protégeai instinctivement mon bras gauche, m'évitant d'arracher mon cathéter, ce qui aurait été à coup sûr douloureux. Je retins la potence qui tanguait mais n'eus pas la force de me hisser sur mes pieds.

Je ne sais pas si je fus gêné ou rassuré qu'une infirmière se soit précipitée dans ma chambre après le vacarme que j'avais causé. Probablement un peu des deux.

- Mr Scott, vous m'entendez ? me demanda-t-elle en s'agenouillant près de mon corps recourbé sur lui-même.

- Oui, je me suis simplement pris le pied dans tous ces fils, me justifiais-je lamentablement.

Derrière ces iris chocolat, je savais qu'elle ne croyait pas un mot de mon mensonge pitoyable. Mais à quoi bon s'attarder sur les raisons qui m'ont poussé à m'écrouler. L'infirmière m'aida à me relever et m'accompagna jusqu'à mon lit.

Une fois à nouveau allongé, je me permis de scruter cette fille qui ne devait pas être bien plus jeune que moi. Ses cheveux aux reflets roux étaient emprisonnés en une longue queue de cheval. Ses lèvres pulpeuses étaient légèrement entrouvertes, insistant à l'interdit.

Mais lorsque mon regard tomba sur ses yeux, je fus vidé de toutes ces pensées. Elle semblait emplie d'amertume, de dégoût, et plus loin encore, j'eus l'impression de lire en elle des regrets. Une part de moi savait que ces ressentiments m'étaient en partie destinés, même si je ne reconnaissais pas cette femme de près ou de loin. Ce qui ne fit que renforcer ma culpabilité. Comment aurais-je pu oublier ce visage ?

- Avez-vous besoin de quelque chose d'autre ? me demanda-t-elle enfin.

Sa voix était douce, harmonieuse, un timbre parfait qui résonnait dans mes oreilles musicales, vibrant jusqu'au plus profond de mon être.

- Non, ça ira, merci, assurai-je après avoir réussi à me détacher de l'admiration auditive que je venais d'avoir.

- Très bien, dans ce cas, je vais vous laisser vous reposer. Une sonnette d'urgence est à votre disposition. Cela vous évitera sûrement d'à nouveau vous retrouver dans une telle situation. Vos examens ont été programmés pour ces prochains jours, enchaîna-t-elle comme pressée de sortir de cette chambre.

- Merci beaucoup, répondis-je, incapable de trouver quelque chose de plus intelligent à dire.

Elle eut un léger mouvement de tête, qui semblait traduire une résignation. Cette infirmière attendait quelque chose de moi, que je ne parvenais pas à saisir. Elle ne s'attarda pas plus longtemps à mon chevet, une fois qu'elle eut compris que je ne dirais rien de plus, elle laissa derrière elle l'effluve de son parfum, d'où se dégageait des autres senteurs une note sucrée de vanille.

Je me passais une main dans mes cheveux ébène, incapable de mettre le doigt sur ma faute. Je n'avais pas comme habitude d'effacer quiconque de ma mémoire. Pourtant, aujourd'hui, cette femme qui portait sur son badge le nom de Sarah me faisait défaut, et je n'aimais pas ça.

Je me saisis de mon carnet noir au fond du sac qui avait provoqué cette rencontre et me mis à poser des mots sur les pages raturées.

in the dark of oblivion

dans le noir de l'oubli

red hair are my blaze

les cheveux roux sont ma flamme

brown eyes are staring at my past

les yeux marrons regardent mon passé

Je reposai mon stylo, contemplant ces quelques mots qui, bizarrement, semblaient battre au même rythme que mon cœur dans mon esprit.

Je repensai aux paroles que mon frère m'avait jetées à la figure il y a quelques minutes : « un chanteur en train de crever, ça intéresse bien moins ». Il avait tort. Une célébrité en train de mourir faisait toujours parler, et certains éprouvaient même de la compassion. Non, ce qui faisait qu'un public se désintéressait d'un artiste, c'est quand celui-ci était faible. Et c'est ce que j'étais, dans tous les sens du terme.

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Hey guys.

Comment ça va today?

Petit chapitre de la semaine. Je ne sais pas ce que vous en avez pensé en le lisant, mais pour ma part, j'ai presque pleuré en l'écrivant. Les mots ont un peu trop résonné en moi.

J'espère en tout cas qu'il vous aura plu et que vous commencez à vous attacher aux personnages comme moi.

Ce qui est sûr, c'est que vous n'êtes pas prêts pour ce qui arrive.

Moi non plus d'ailleurs.

Oui, je vous laisse comme ça sans rien dire de plus, à part :

I love you guys. 

Laisse moi vivreOù les histoires vivent. Découvrez maintenant